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11 septembre 2025 4 11 /09 /septembre /2025 00:54

Charlie Kirk — figure conservatrice américaine et fondateur de Turning Point USA— a été abattu alors qu’il répondait à une question. Ce meurtre, commis en pleine prise de parole publique, transforme un acte politique en tentative d’éradication du débat lui-même.

 

On assassine un homme et l’on croit abolir sa voix. Mais tuer un orateur, c’est toujours en consacrer la parole, car la violence révèle ce qu’elle voulait étouffer. L’acte commis dépasse sa personne : il exprime une pathologie politique, le refus radical du débat contradictoire. On ne discute plus, on élimine. 

 

La liberté d’expression repose sur une idée simple et exigeante : tolérer ce qu’on abhorre. C’est là que le vernis craque aujourd’hui. Nos sociétés saturées d’émotions ne parviennent plus à transformer la colère en controverse, la contradiction en dialogue. Tout désaccord devient offense, tout adversaire se change en ennemi. Dès lors, le langage perd sa fonction de médiation ; il n’est plus l’espace commun où l’on s’affronte par des mots, mais une arme qu’il faudrait confisquer à l’autre avant qu’il ne la retourne contre nous.

 

Le geste meurtrier illustre une dérive plus large : la tentation morale d’éliminer ce qui dérange. Il ne s’agit plus d’affronter une opinion, mais de l’extirper comme on arrache une tumeur. Cette logique n’est pas neuve : toute idéologie qui prétend incarner le Bien absolu finit par délégitimer la parole adverse et justifier sa suppression. Mais ce qui change, c’est la vitesse avec laquelle ce réflexe s’installe, encouragé par les technologies qui transforment chaque désaccord en spectacle polarisé.

 

Certains diront que Kirk était clivant, outrancier, provocateur. Justement : si la liberté d’expression n’existe que pour les propos convenables, elle cesse d’être liberté. La démocratie se mesure à la place qu’elle accorde aux voix insupportables. Ce n’est pas le consensus qui garantit notre humanité politique, mais la capacité à supporter la dissonance.

 

Nous glissons vers une culture où la contradiction est vécue comme une agression insupportable. Défendre la liberté d’expression n’est donc pas un geste abstrait, mais une urgence vitale : elle seule permet que l’hostilité reste dans l’ordre des mots, non dans celui des balles.

 

Faut-il le répéter ? La liberté d’expression ne promet pas l’harmonie. Elle nous oblige seulement à rester dans le champ des mots plutôt que dans celui des coups. C’est peu, et pourtant c’est ce qui nous permet encore de vivre ensemble.

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Published by Yannick Rieu
8 septembre 2025 1 08 /09 /septembre /2025 16:39

Boucar Diouf a publié dans La Presse du 6 septembre 2025 une chronique intitulée « Requins : SAAQclic ou ça croque », où il plaide pour une réhabilitation des requins blancs, victimes de préjugés persistants.

 

Il rappelle que les squales tuent infiniment moins que moustiques, serpents ou chiens, mais restent coincés dans une image d’ennemis publics. La peur nourrit la haine, et la haine conduit à la violence. Son plaidoyer pour remplacer la peur par la connaissance est juste et salutaire.

 

Là où le bât blesse, c’est dans la seconde moitié du texte. En filant sa métaphore des « requins humains », Diouf associe Poutine et Netanyahou à des « êtres sanguinaires inhumains », et ajoute Trump comme « requin mafieux de la finance » complice. Ce qui dérange, c’est le réflexe. Le même qu’il reproche aux médias à propos des squales : condamner sans nuances, amalgamer, réduire à une image simpliste. Autrement dit, il agit comme ce qu’il dénonce. Poutine devient son requin blanc à lui.

 

C’est là toute l’ironie : en voulant montrer que l’humanité projette sa barbarie sur les squales, Diouf finit par projeter ses propres indignations sur des dirigeants politiques, choisis à sa convenance. D’ailleurs, ses indignations ne tombent pas du ciel : elles reflètent largement les angles dominants de la presse occidentale. Ce n’est pas un hasard si ses « requins » sont les mêmes que ceux que l’on retrouve en boucle sur nos écrans. Le mécanisme reste identique : simplification brutale, condamnation réflexe. Comme le requin qu’on juge au premier coup d’œil — dents acérées = monstre — il regarde ces figures et conclut aussitôt à la monstruosité.

 

On pourrait même se demander : à partir de quand peut-on traiter un dirigeant de sanguinaire ? Obama avec ses assassinats ciblés ? Bush fils avec sa guerre en Irak ? Clinton, dont les sanctions contre l’Irak ont coûté plusieurs centaines de milliers de vies civiles ? Mitterrand avec le Rwanda ? La liste pourrait s’allonger indéfiniment. À ce jeu-là, l’étiquette de « monstre » éclaire moins qu’elle n’aveugle.

 

L’intérêt de sa chronique tenait à l’appel à la lucidité : remplacer la peur par la connaissance. Mais cette exigence ne peut valoir pour les squales et s’arrêter aux humains. Elle doit s’appliquer partout : analyser les faits, distinguer les degrés de responsabilité, garder le discernement même face à ceux qui nous inspirent colère ou dégoût. À condition aussi de reconnaître que ces émotions sont bien les nôtres, et pas seulement celles que les médias nous dictent.

 

Sinon, on ne fait que reproduire la mécanique que l’on prétend briser. On condamne vite, fort, sans nuance — exactement comme la presse condamne les requins marins au premier incident. Ce n’est pas la liste des noms qui pose problème, mais le geste qui les accompagne. Boucar dénonce les préjugés systémiques, mais illustre aussitôt le réflexe qu’il critique. En voulant libérer les requins de la caricature, il montre combien il est difficile d’échapper à nos propres réflexes.

 

Dépasser les préjugés commence par désarmer ce réflexe en nous. Sinon, nous restons prisonniers du même océan de caricatures.

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Published by Yannick Rieu
8 septembre 2025 1 08 /09 /septembre /2025 03:47
Le vieux lion

Le vieux lion marche encore, lourd, majestueux dans ses restes. Sa crinière effilochée garde l’ombre d’un éclat passé. Autrefois, son rugissement suffisait à faire plier la plaine. Aujourd’hui, il gronde par réflexe plus que par nécessité, et l’écho se perd dans l’air, sans crainte autour de lui.

 

Il s’accroche à l’image qu’il a de lui-même : prédateur absolu, stratège des savanes, maître des équilibres. Mais les proies ont changé de rythme, les autres bêtes se sont liguées autrement, et ses antiques tactiques pèsent comme des gestes maladroits. Là où jadis patience et flair guidaient ses pas, il n’y a plus qu’un enchaînement de gestes raides, répétés à vide.

 

Sa vraie blessure n’est pas la vieillesse, mais l’oubli de l’art de composer. Négocier la place de chacun, tendre un guet-apens avec subtilité, mesurer les forces sans gaspiller la sienne… Tout cela s’est perdu dans un orgueil brut, une confiance trop longue dans ses muscles. Et ce monde qui change ne lui accorde plus le temps de rattraper son retard.

 

Alors il s’enfonce dans une solitude pleine de mémoire. Dans ses yeux subsistent des éclairs : non pas la peur, mais la nostalgie d’une intelligence exercée. Chaque rugissement lancé en vain raconte moins sa puissance qu’une immense difficulté à lâcher prise.

 

Sous ses pas fatigués, la savane demeure. Ainsi va le vieux lion : trop attaché à ses crocs pour réapprendre à écouter, trop sûr de son rôle pour retrouver la ruse. Les herbes poussent, d’autres forces s’élèvent, d’autres stratégies naissent. Le vieux lion, dépassé, reste encore une image : celle d’une grandeur qui s’éteint, et qui pourrait, dans sa chute, enseigner une dernière leçon : sans écoute, sans souplesse, même la plus éclatante des puissances se condamne à rugir dans le vide.

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Published by Yannick Rieu
7 septembre 2025 7 07 /09 /septembre /2025 01:47

Monsieur,

 

Dans une récente entrevue disponible en ligne (YouTube, 34:00–38:00), vous êtes interrogé sur la Chine. L’échange ne porte pas uniquement sur ce pays — et c’est heureux, car vous auriez eu le loisir d’y accumuler encore plus de contre-vérités. Mais ces quelques minutes suffisent à susciter un malaise.

 

Je vous ai lu avec intérêt, parfois avec admiration — notamment votre série sur l’histoire de la philosophie et le Traité d’athéologie — mais en vous écoutant parler de la Chine, votre pensée semble se déliter. Vous oubliez la rigueur de l’histoire pour céder au raccourci commode. Par exemple, affirmer que Mao aurait sciemment organisé des famines pour faire mourir son peuple, c’est plus qu’un raccourci : c’est une énormité. Une telle phrase efface la complexité historique, nie les recherches accumulées, et rabat une tragédie sur le confort d’une accusation facile. Oui, le Grand Bond en avant fut une catastrophe qui causa des millions de morts. Oui, le régime en porte la responsabilité. Mais le présenter comme un projet d’extermination délibéré, c’est trahir l’histoire. Et pour un philosophe, céder ainsi à la bêtise du slogan, c’est inquiétant.

 

Vous poursuivez : lors de la parade militaire que vous commentiez, le président chinois portait, en effet, un vêtement… chinois*. De là à conclure qu’il serait criminel en puissance parce que Mao portait la même veste, il y a un gouffre — celui qui sépare la pensée de la superstition. C’est réduire l’analyse politique à de la chiromancie textile. Un vêtement n’est pas une preuve, c’est tout au plus un signe. Et faire d’un col de veste un acte d’accusation relève moins de la philosophie que de la caricature.

 

Puis vient cette phrase : « Si Xi décide que la France, c’est fini, alors c’est fini. » Vous la rattachez à la puissance de frappe chinoise, exhibée lors du défilé commémorant la victoire sur le fascisme. Mais réduire ce geste à une menace directe contre la France ou l’Europe, c’est ignorer l’intention réelle : affirmer une mémoire nationale, montrer une puissance retrouvée. Prêter à la Chine nos anciens penchants coloniaux, c’est projeter notre histoire sur la sienne, et voir une menace là où il y a surtout différence. Or les Chinois ne sont pas des Occidentaux en attente de conversion. Ils pensent autrement, inscrits dans une autre histoire, une autre durée. Persister à voir en Xi Jinping un nouveau Hitler, prêt à dévorer l’Europe, relève moins de l’analyse que du fantasme — celui d’une Chine réduite à nos peurs et à nos ombres.

 

Ce qui frappe, ce n’est pas seulement l’erreur d’analyse, mais la dégradation d’un niveau intellectuel qu’on a connu exigeant. Votre pensée, d’ordinaire rigoureuse, semble se liquéfier dès qu’il s’agit de la Chine. Non sous l’effet d’une émotion passagère, mais sous celui d’un préjugé tenace. Et un préjugé, fût-il habillé de philosophie, reste une faiblesse de jugement. Voilà, au fond, ce qui attriste : moins vos attaques contre la Chine que l’effondrement de votre propre exigence.

 

Le costume Zhongshan, conçu par Sun Yat-sen après la révolution de 1911, symbolise la modernisation et l’indépendance de la Chine. Inspiré de modèles japonais et occidentaux mais ancré dans la tradition chinoise, il associe une esthétique sobre à une forte charge symbolique : col droit pour l’autonomie, quatre poches pour les vertus cardinales, cinq boutons pour la Constitution des Cinq Pouvoirs et trois plis pour les Trois principes du peuple. D’abord porté par les élites républicaines, puis popularisé par Mao et les dirigeants communistes, il reste aujourd’hui un marqueur identitaire et cérémoniel de la culture chinoise.

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Published by Yannick Rieu
6 septembre 2025 6 06 /09 /septembre /2025 21:46

 On lui crache dessus parce qu’il ose dire tout haut ce que les autres murmurent en latin d’église. Changer le ministère de la Défense en ministère de la Guerre, quelle horreur, s’exclament les âmes sensibles. Mais qu’est-ce qu’on défend au juste, depuis Washington, depuis cinquante ans ? L’Irak ? Le Vietnam ? L’Afghanistan ? Non, on exporte des bombes, on protège des marchés, on joue aux pompiers pyromanes. La « défense » n’a jamais défendu que l’extension d’intérêts qu’on ose à peine nommer. L’hypocrisie, c’est ce label rassurant, cette fiction que l’Amérique se bat toujours pour la liberté, jamais pour ses pipelines.

 

Trump, lui, ne cherche même pas à sauver les apparences. Il n’est pas plus moral, il n’est pas moins brutal, mais il a ce vice candide de désosser le langage. Il lève le rideau : la guerre n’est pas une défense, c’est une guerre. On peut détester le personnage, ses excès, son narcissisme de foire, mais sur ce point précis, il renverse le miroir et oblige les commentateurs à contempler leur propre mensonge.

 

Le scandale n’est pas dans le canon, il est dans le mot. Les prédécesseurs, plus habiles, enveloppaient le massacre d’un parfum humanitaire, parlaient d’« opérations de maintien de la paix », de « frappes chirurgicales », de « sécurité nationale ». Des euphémismes polis, des pansements verbaux sur des amputations. Trump, lui, choisit la crudité du vocabulaire ancien, celui des registres militaires avant qu’on n’invente le marketing du sang.

 

Alors oui, il choque. Mais ce choc révèle surtout combien nous sommes devenus dépendants des illusions de langage. Nous préférons être bernés par une « Défense » qui attaque, par une « sécurité » qui déstabilise, par une « paix » qui bombarde. La guerre, nue, nous glace davantage que la guerre grimée en protectrice. Et si cette nudité nous insupporte, c’est peut-être que nous redoutons de reconnaître en face notre complicité, notre confort acheté au prix de cette hypocrisie.

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Published by Yannick Rieu
5 septembre 2025 5 05 /09 /septembre /2025 15:22
La guerre comme horizon

Le 1er septembre 2025, le général Fabien Mandon, tout juste nommé chef d’état-major des armées françaises, adresse son premier « ordre du jour » à la troupe. On peut le lire en entier ici : Texte intégral, ministère des Armées (PDF).

 

Ton martial, gravité calculée, formules solennelles : la guerre « gronde », l’armée française doit être prête à « vaincre », il faut « être craints pour être respectés ». Un texte qui, derrière les drapeaux et les hommages, trace une ligne claire : la France s’engage dans la préparation active d’un affrontement de grande ampleur, et l’Europe doit se penser comme un bloc militaire prêt au combat.

 

Encore un général qui se penche sur ses drapeaux pour mieux préparer les corps à tomber dessous. Le nouveau chef d’état-major chante la gloire de « l’armée la plus efficace d’Europe », comme un camelot vendrait sa marchandise. Derrière cette fanfare : la préparation d’une guerre de masse. Pas des embuscades lointaines contre des terroristes, mais l’affrontement frontal avec des États. Traduction : la France se tient au garde-à-vous devant la perspective d’un bain de sang continental.

 

On appelle ça « initiative » et « prise de risque ». En vérité, l’initiative est politique et le risque pèse sur ceux qu’on enverra dans la boue. Pas question de douter : « l’immobilisme ne sera pas accepté ». On ferme la bouche, on serre les rangs, on marche. Le relativisme ? C’est le nom élégant donné au fait de penser autrement que le chef.

 

La musique est connue : glorifier les morts pour préparer les prochains. L’hommage aux sacrifices d’hier sert d’alibi pour les charniers de demain. Le cynisme est total : on déclare leur souvenir sacré, pour mieux sanctifier les futurs cadavres.

 

Et voilà la doctrine : « être craints pour être respectés ». Le respect par la terreur, version militaire. On croirait entendre la voix d’une mafia, pas celle d’une démocratie. Pas un mot sur la paix, pas une syllabe sur la diplomatie. Le monde se complexifie ? Réponse : plus de blindés, plus de canons, plus de morts.

 

La France de Macron déroule son vieux fantasme de grandeur militaire, repeint aux couleurs de l’Europe. Une fuite en avant belliqueuse, vendue comme nécessité. Et si tu refuses, c’est que tu trahis la mémoire des soldats tombés. Voilà comment on fabrique l’unanimité guerrière.

 

Mais la vérité demeure, nue : la guerre n’est pas honneur, pas grandeur, pas avenir. Elle est la plus vieille et la plus horrible des folies. Et nous voilà sommés de l’embrasser à nouveau, au nom de la souveraineté. Folie maquillée en vertu, crime repeint en devoir.

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Published by Yannick Rieu
1 septembre 2025 1 01 /09 /septembre /2025 19:52
La pente

Je me suis toujours demandé comment le monde avait « réussi » à faire deux guerres mondiales. Comment des sociétés entières avaient pu consentir à la destruction, l’embrasser même comme une nécessité. Longtemps, la réponse m’a échappé. Aujourd’hui, je la vois autrement : non pas dans le fracas, mais dans la pente.

 

La pente, c’est ce terrain discret où l’opinion publique se façonne peu à peu. Rien de spectaculaire. Pas d’ordres tonitruants, seulement une pluie fine de mots, de slogans, d’images. On ne nous jette pas dans l’abîme, on nous y conduit pas à pas. Le langage se simplifie, les nuances disparaissent, l’ennemi est désigné. On apprend à le craindre, à le haïr, sans même y penser. Et l’on se croit encore raisonnable.

 

L’inertie fait le reste. Beaucoup sentent que quelque chose bascule, mais peu osent le dire. Protester paraît excessif, se taire plus prudent. Alors on se tait. On laisse filer, persuadés que ce n’est pas si grave, pas encore. Chaque jour la pente s’incline davantage, et le silence devient complice.

 

Ainsi l’on glisse, non dans la stupeur mais dans l’habitude. L’inacceptable s’installe par petites doses, inoculées quotidiennement. Le scandale d’hier devient la normalité d’aujourd’hui. On se berce de l’illusion qu’il reste du temps, que le pire peut encore être évité. Puis un matin, la vitesse prend le relais : la pente est devenue chute.

 

Aujourd’hui, cette pente se dessine de nouveau sous nos pas. L’Europe parle moins de paix que de guerre. Les discours s’aiguisent, les budgets militaires gonflent, l’ogre est désigné. La Russie devient caricature (demain la Chine?), menace absolue, cible évidente. Chaque formule médiatique enfonce le clou, chaque silence public ajoute son poids. Comme hier, on prépare les esprits avant de préparer les armes. C’est ce glissement que nous connaissons déjà : celui qui transforme l’inimaginable en inévitable.

 

Voilà ce que je comprends mieux à présent : les monstruosités ne surgissent pas d’un coup, elles se préparent patiemment. Elles prospèrent dans le relâchement des consciences, dans la passivité des foules, dans ce confort qui préfère détourner les yeux. L’Histoire ne trébuche pas, elle glisse.

 

Et nous avec elle.

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Published by Yannick Rieu
30 août 2025 6 30 /08 /août /2025 23:43
Prières de rue et musiciens : le Québec face à sa neutralité
Prières de rue et musiciens : le Québec face à sa neutralité

Le Québec porte une mémoire particulière. Celle d’un peuple longtemps tenu sous la coupe de l’Église catholique, jusqu’à la Révolution tranquille qui, dans les années 1960, a libéré l’école, l’État et la santé de l’emprise religieuse. Depuis, la neutralité de l’espace public est une valeur cardinale : la rue, les institutions, la sphère commune doivent être dégagées de toute orthodoxie. Chacun doit pouvoir y circuler sans plier devant un credo.

 

C’est pourquoi les prières de rue frappent si fort l’imaginaire collectif. Peu importe la religion : voir un groupe transformer un trottoir en chapelle heurte l’histoire récente du Québec. La foi a son lieu — maison, église, mosquée, temple — mais la rue appartient à tous. Elle est censée rester neutre. La mémoire québécoise se souvient trop bien de ce qu’il en coûte de laisser une religion coloniser l’espace commun.

 

Pourtant, le droit protège la liberté de religion, y compris son expression publique. En théorie, rien n’interdit à un groupe de se recueillir sur une place, tant qu’il ne bloque pas la circulation. La tension est là : d’un côté, la liberté individuelle de prier ; de l’autre, l’exigence collective d’un espace neutre.

 

Le problème est moins la durée d’une prière que le symbole. Car si un groupe peut sanctuariser un coin de rue par sa ferveur, pourquoi un autre ne le pourrait-il pas ? Et à force de tolérances successives, la rue finit par devenir un temple à ciel ouvert, alors même que le Québec a mis des décennies à sortir de l’ombre du clergé.

 

La contradiction devient criante quand on compare avec les artistes. Un musicien de rue doit obtenir un permis, respecter des horaires, payer parfois une redevance. Sa musique est jugée comme une “occupation” de l’espace public qui doit être encadrée. Mais une prière collective, qui occupe aussi la rue, serait tolérée sans condition au nom de la liberté religieuse ? Le contraste révèle une hiérarchie implicite : la ferveur spirituelle est jugée plus légitime que la création artistique.

 

Et pourtant, la musique n’impose aucune orthodoxie. Elle ne dresse pas de dogme. Elle s’offre, elle embellit, elle surprend. Pourquoi serait-elle surveillée, quand la prière est laissée libre ? Dans une société laïque, il est absurde de restreindre l’art au nom de l’ordre public tout en sacralisant l’expression religieuse. Si la rue doit être neutre, alors qu’elle le soit pour tous : croyants, artistes, passants.

 

Car la question n’est pas d’interdire la foi. Elle est de rappeler que la liberté religieuse s’exerce mieux quand elle ne s’impose pas dans l’espace partagé. Le vivre-ensemble ne peut pas être une juxtaposition de chapelles improvisées sur les trottoirs. Il a besoin d’un terrain commun, d’un espace dégagé où personne n’est sommé de participer à la ferveur de l’autre.

 

Le sort réservé au musicien de rue met crûment en lumière le deux poids deux mesures : son art est encadré, la prière tolérée. Mais si la société accepte que l’espace public se plie à chaque orthodoxie, elle n’a plus de socle commun. Le prix de la liberté, c’est la cohérence. À chacun ses lieux de culte, à chacun son foyer intime. La rue, elle, doit rester la scène neutre de tous — où l’on peut marcher, écouter, jouer, vivre, sans être enrôlé par aucun absolu.

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Published by Yannick Rieu
25 août 2025 1 25 /08 /août /2025 20:34

 

Qualifier la Chine d’expansionniste, c’est céder à un réflexe de miroir. On lui prête nos propres démons, ceux des conquêtes coloniales, des drapeaux plantés au bout du monde et des empires bâtis sur la dépossession. Or, l’histoire chinoise obéit à d’autres logiques.

 

Son modèle ancien n’était pas colonial mais tributaire : les royaumes voisins reconnaissaient l’empereur comme fils du Ciel, en échange de commerce et de protection. Les grandes expéditions maritimes de Zheng He, au XVe siècle, n’ont pas laissé derrière elles des colonies, mais des ports visités, des cadeaux échangés, un souvenir de puissance.

 

Puis survint le long traumatisme des XIXe et XXe siècles : guerres de l’opium, occupations étrangères, humiliation nationale. Cette période de vulnérabilité a laissé une cicatrice durable. Depuis, la priorité de la Chine n’est pas de partir à la conquête de terres lointaines — ce n’a jamais été son horizon — mais de préserver son intégrité et d’empêcher qu’on la fragmente à nouveau.

 

La caricature d’un impérialisme à l’occidentale empêche de saisir la singularité chinoise. Comprendre Pékin suppose d’accepter qu’elle suit ses propres logiques : la continuité plutôt que la rupture, la centralité plutôt que l’éparpillement, la souveraineté avant tout. Elle ne cherche pas à imposer un modèle universel de civilisation, mais à tisser des liens où ses intérêts sont assurés sans exclure ceux de l’autre. Une relation réussie, à ses yeux, est celle où les deux partenaires peuvent se dire « gagnants ».

 

C’est là le malentendu : nous voyons nos vieilles ombres, elle suit une logique de cercle concentrique. L’erreur n’est pas seulement analytique, elle est politique : à force de projeter nos passés sur elle, nous oublions de lire sa singularité. Et les conséquences sont immédiates : nous interprétons ses routes commerciales comme des menaces militaires, ses projets d’influence comme des plans de conquête, et nous répondons par la suspicion et l’affrontement. Ainsi, au lieu de comprendre comment la Chine redessine l’ordre mondial, nous nous enfermons dans des réflexes défensifs qui brouillent le dialogue et précipitent la confrontation.

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Published by Yannick Rieu
24 août 2025 7 24 /08 /août /2025 20:59

On nous parle de démocratie à longueur de discours. Comme si le simple mot suffisait à calmer le doute, à légitimer tout le reste. Mais derrière le vernis, les fissures s’ouvrent. Des mandats sans peuple, des élections qui n’accrochent plus personne, des référendums balayés quand ils dérangent. Le pouvoir se perpétue, mais la légitimité se vide.

 

Regardons l’Union européenne. Ursula von der Leyen, présidente de la Commission, n’a jamais été élue par les citoyens. Pas de campagne, pas d’urne, pas de lien direct avec le peuple. Son mandat est né d’un marchandage entre dirigeants, puis validé par un Parlement européen que presque personne ne suit. C’est une nomination maquillée en représentation. Un mandat d’en haut, parachuté.

 

En France, Macron est bel et bien élu. Mais avec quelle force ? Une abstention record, un second tour par défaut, des millions de bulletins déposés par rejet, pas par adhésion. La légalité est là, la légitimité vacille. Un président par bricolage, soutenu par une minorité réelle du pays.

 

Le Canada n’échappe pas au même travers. Un Premier ministre qui gouverne avec moins d’un tiers des voix, porté par un système électoral qui transforme une minorité en majorité absolue. La démocratie existe sur le papier, mais le contrat moral avec le peuple reste fragile, presque fictif.

 

Et quand les peuples d’Europe osent dire non trop fort, leur voix est effacée. Le référendum français et néerlandais de 2005, enterré puis recyclé en traité de Lisbonne. Le référendum grec de 2015, où la population rejette l’austérité, aussitôt piétiné par ceux qui gouvernent. À quoi bon voter, si le résultat n’est valide que quand il conforte le pouvoir ?

 

Voilà le fil qui relie tout ça : des mandats venus d’en haut, des élections bancales d’en bas, des référendums ignorés. Dans tous les cas, le peuple est tenu à distance. On continue de lui vendre la fable de la “représentation démocratique”, mais ce n’est plus qu’un décor pratiquement vide.

 

On peut étouffer une voix un temps, pas indéfiniment. Quand le peuple surgira, ce ne sera pas une surprise mais une conséquence. Et ceux qui se croyaient à l’abri comprendront trop tard que gouverner sans le peuple, c’est gouverner contre un volcan.

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Published by Yannick Rieu

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