Il y a toujours quelqu’un pour s’indigner plus fort que les autres. Un ton, un froncement de sourcil, et soudain la vertu devient spectacle. On applaudit, on partage, on se réchauffe à la flamme du juste courroux. C’est si simple, si pur : il suffit d’avoir trouvé le coupable du jour. L’époque adore la propreté morale — celle qu’on obtient en jetant la boue sur autrui.
Un homme, quelque part, s’est cru sage en tirant sur un autre. Un autre, blessé, s’est cru courageux en tirant sur le premier. Deux miroirs se font face, et la lumière qu’ils renvoient nous éblouit sans rien éclairer. Entre eux, l’air se brouille de bons sentiments. Les uns rient, les autres grondent, et tous s’imaginent défendre la vérité alors qu’ils ne défendent qu’un camp, une image, un confort intérieur.
Hurler avec les loups, ou hurler contre eux, quelle différence ? C’est toujours hurler. Et pendant qu’on crie, la forêt s’assombrit. Les arbres, eux, ne disent rien : ils regardent les bêtes tourner en rond autour de leur propre ombre.
Nous avons troqué la complexité pour la posture, la pensée pour le réflexe. Les mots “démocratie”, “science”, “paix”, “justice” — qu’importe le sens, pourvu qu’ils brillent assez fort pour masquer le vide. L’époque veut des héros et des salauds, pas des humains. Les nuances font mauvais public.
Le pire, c’est que chacun croit parler depuis sa lucidité. Le satiriste et le chroniqueur croient percer la bulle des puissants ; le citoyen indigné croit briser celle des médias. Mais leurs doigts se touchent à travers le verre. Même colère, même certitude, même besoin de croire qu’il existe un “eux” pour donner du poids au “nous”.
Et puis le monde continue d’avancer, maladroit, sans attendre nos sermons. Il pleut sur les statues comme sur les ordures, indistinctement. Et peut-être que la sagesse n’est pas dans la clameur, mais dans le soupir — celui qu’on pousse quand on comprend qu’on ne convaincra personne, mais qu’on peut au moins rester digne.
Regarde-toi, dit le miroir. Tu es fait du même silence que ceux que tu juges.