Il faut avoir voyagé plusieurs fois en Chine pour percevoir ce paradoxe : une impression d’anarchie et, en même temps, une fluidité étonnante. Par exemple, dans les grandes villes, la circulation semble chaotique. Les vélos, les scooters, les voitures se frôlent, se contournent, se croisent dans un désordre apparent — mais tout avance. On s’observe, on s’adapte, on laisse passer, parfois on s’impose un peu, sans jamais (ou presque) trop forcer la main. C’est un jeu d’équilibre, de réflexes partagés.
Les lois sont là, bien sûr, comme partout ailleurs. Mais ce qui frappe, c’est la manière dont elles s’articulent avec un ordre tacite, presque instinctif. Ce n’est pas un ordre imposé par la peur de mal faire, mais un ordre vécu, ressenti, incarné. Je le qualifierais d’organique : une conscience collective du mouvement, qui permet à la société de rester fluide sans sombrer dans le chaos.
Ici, au Canada, et plus généralement en Occident, l’ordre prend une autre forme : il se veut rationnel, prévisible, garanti par la règle écrite. Tout est balisé, expliqué, précisé. Mais à force de vouloir trop prévenir le désordre, on fabrique souvent une tension permanente. Plus de règles ne donne pas toujours plus d’ordre, mais souvent plus de crispation. Le moindre imprévu devient une faute, le moindre écart un conflit.
L’expérience chinoise rappelle qu’un ordre peut être solide sans être raide. Ce n’est pas une opposition de cultures, mais une différence de respiration : ici, la règle cherche à prévenir ; là-bas, elle cherche à accompagner. Deux façons de tenir le monde ensemble — l’une par la structure, l’autre par le mouvement.