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30 juin 2015 2 30 /06 /juin /2015 14:35

Victor est parti. Le monde du jazz en émoi. Avec raison. Petit texte écrit en 2015.

Merci pour tout.

Ton humanité, ta simplicité, ta franchise, ton sens de la justice, ton mépris pour les esprits bornés. 

Et merci, surtout, pour ta musique!

"Be logical!" hurle Vic au pauvre tromboniste qui se liquéfie sous ces mots. Je l'entendrai souvent ce "be logical". "Tell us a story", "Don't play stacato in your solo", "Don't play in your stand", "Be lyrical"... Combien de petites phrases toute simples mais tellement utiles...

Depuis l'âge de 14-15 ans, depuis que le jazz est entré dans ma vie, le nom de Vic Vogel est associé à cette musique.

Je me souviens.

Son passage au Saguenay (1977 ou 78?) était pour moi tout un évènement. Les meilleurs musiciens du Québec rassemblés dans un orchestre! Le Vic Vogel Big Band représentait le nec-plus-ultra, le sommet des sommets en jazz. Vic c'était le jazz!

L'orchestre joue sur une scène extérieure. Il fait beau. La bombe! Je suis sur le cul, littéralement (nous sommes assis sur l'herbe) et métaphoriquement!

Ça bouillonne, ça pète, ça flammèche, crépite, explose. Ça caresse aussi, c'est doux et rugueux à la fois, fort et souple. Mon coeur, lui, brûle, mon sang ne fait qu'un tour mais quel tour! Les montagnes russes de La Ronde à côté c'est de la gnognotte! Je suis emporté par le son, par l'énergie incroyable qui se dégage de l'orchestre.

Un jour je jouerai avec Vic. Pour Vic serait plus juste.

Fin 1985 début 86. Des années ont passé. Je suis à Montréal depuis moins d'un an, un an à écumer les bars plus ou moins sordides, plus ou moins malfamés, à faire le boeuf comme on dit en France, à courir les jam-sessions comme on dit ici. Des milliers d'heures passées sur mon instrument. Je joue dans le métro pour gagner quelques sous, tire le diable par la queue. Dans le bonheur, dans la joie. Je me fout de tout, je joue.

Le téléphone sonne. On me demande de passer à une répétition du Vic Vogel Big Band. Je n'y crois pas. Je rêve! J'ai surtout la trouille en fait.

Autodidacte en jazz, je me sens un peu comme un arnaqueur, j'ai le syndrome du gars qui ne devrait pas être là. L'usurpateur dans un band de pros.

J'arrive depuis peu de mon Saguenay, je ne comprends ni ne parle anglais (merci l'école!). Mais qu'est-ce que je fout ici?

Un drôle de sentiment m'habite. De drôles de sentiments devrais-je dire! Je suis dans l'orchestre le plus "hot" en ville, parmi les virtuoses que j'admire depuis que j'ai 15-16 ans, je devrais être heureux, content, satisfait...Quelque chose comme ça quoi! Je le suis mais quelque chose me dit que je suis fini. Voilà! Tu joues dans l'orchestre de tes rêves...et après?

Fébrile aussi, une peur me noue l'estomac, me prend à la gorge. Et si on découvrait que je suis un arnaqueur? Que je ne sais rien ou presque? Que je ne comprends rien de ce qui se dit autour de moi?

Oui, et après? Je les emmerde! C'est pas simple, je vous l'ai dit. Des dizaines de sentiments contradictoires s'entrechoquent en moi.

Oui, je les emmerde ces professionnels! C'est pas moi qui les ai appelé, c'est eux! S'ils ne sont pas contents, ils ont qu'à me mettre dehors!

Petite revanche? Peut-être.

Cette attitude, était-elle reliée à mon (très) court séjour à Mc Gill? Deux semaines en 1980! Mon jeu avait été qualifié de trop moderne par le directeur du big band de l'université (je tairai le nom de cet imbécile). Je me suis tiré vite fait de cette institution qui sentait un peu trop le renfermé à mon goût. Heureusement cela a changé.

Une espèce de revanche sur les musiciens et professeurs (pas tous!) qui m'avaient rejeté, moi le francophone un peu fou qui jouait "trop moderne"?

J'arrivais dans une famille et comme beaucoup de famille, les rapports entre ses membres n'étaient pas toujours simples. Il y avait des tenants de la politique "Mc Gillienne" dans l'orchestre...

Heureusement le père (Vic!) tenait tout cela avec une main de fer dans le velours de la musique. Ou une main de velours dans le fer (faire?) de la musique. Au choix.

Vic est peut-être le plus sentimental des êtres que j'ai rencontré dans ce métier. Comme beaucoup de ces hyper-sensibles, il cache cette vulnérabilité derrière un personnage un peu rustre, lourdaud même parfois, une image du fort en gueule, du macho indestructible buvant, mangeant, rigolant, baisant. Ça marche avec les médias, souvent à la surface des choses. Le plus étonnant, c'est que certains musiciens y croient à cette image. Pas moi.

J'ai vu derrière cette façade un amoureux, quelque chose de très fragile, un trésor que Vic prend bien soin de ne pas exposer à n'importe qui.

J'ai vu un être vivant, unique, détonnant et déroutant beaucoup de gens. Une fée qui se serait déguisée en ogre. Dans un Québec parfois si monotone, gris et morose d'esprit, Vic m'est apparu comme une lumière, un farfadet à qui on ne la fait pas.

Vous dire que cet orchestre a été une école pour moi (j'y ai joué pendant presque 2 ans) est un cliché. Il l'a été pour beaucoup de musiciens. Beaucoup de joie, quelques moments difficiles (je l'ai dit, on était une famille, il y avait donc un ou deux cons qui s'étaient glissés...)

Quand ça jouait on oubliait tout. Nous étions un. Unique et indescriptible bonheur!

Vic c'est le contraste, quelques concessions (trop à mon goût, c'est pour cette raison que j'ai quitté), des engueulades (toujours courtes), des fous rire (souvent), du sérieux, de la retenu dans les sentiments, une chaleur du coeur vraie, une générosité immense.

Vic c'est le jazz. Vic c'est la vie.

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Published by Yannick Rieu - dans Culture

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