Tout d’abord et à l’instar de Normand, je serai obligé de convenir d’une idée, celle qu’éduquer est de rendre l’humain libre. Nous allons supposer que l’ensemble de la profession comprend et souhaite cela.
Constat
Notre époque est bruyante. Nous sommes bruyants à « l’intérieur » comme à l’extérieur. Nos cerveaux s’affolent, notre parole perd en qualité ce qu’elle a gagné en quantité. Collectivement nous sommes confus, perdus, brouillons, impuissants, hésitants, éparpillés. Le vide, le calme, la lenteur, le silence sont devenus des spectres qu’il faut à tout prix éviter, des pièges dans lesquels s’il fallait s’y prendre trop fermement, feraient de nous, aux yeux de la plupart de nos contemporains, des sous-humains, des humains ratés, dépassés, non performants, ringards, anachroniques.
Écouter - le goût du silence
Pour répondre à cette hystérie collective je crois que, dans un premier temps, il serait sage de réapprendre à écouter, redonner le goût du silence. À mon avis ce serait une première étape à franchir, une base sur laquelle tout le cursus scolaire pourrait s’appuyer. Le cours de musique deviendrait un moyen d’aborder l’écoute avec la conscience qu’elle est un outil qu’il faut redécouvrir et affuter constamment. De plus, l’art d’écouter-car c’en est un-, servira pour toutes les matières et pour toute la vie, dans toutes les circonstances.
Durant un séjour en Chine où j’enseignais la musique j’ai tenté une petite expérience. J’ai demandé aux étudiants de prendre en note tout ce qu’ils entendaient au cours d’une marche que nous prenions ensemble. Les résultats furent intéressants. Là où des dizaines de sons pouvaient être perçus, seulement 7 ou 8, en moyenne, étaient notés.
Or étudier et/ou faire de la musique c’est d’abord écouter. Attentivement.
Entendre c’est subir, écouter c’est agir
Écouter c’est s’arrêter, se taire, prendre le temps, se fondre, suspendre la pensée, celle qui juge, jauge, évalue, analyse, compare, mesure. Que de choses doivent mourir pour parvenir à cet état de réception ! Écouter c’est observer et il n’y a d’observation totale que quand le « moi » est absent. Qu’on me comprenne bien ici, il n’est pas question de pseudo-ésotérisme et son fatras mais bien d’un état que beaucoup de musiciens, entre autres, connaissent : la disponibilité.
Écouter c’est aussi aller vers l’autre, sortir de soi ; que ce soit la musique, les paroles de quelqu’un, les sons et bruits qui nous environnent. Écouter c’est être attentif, présent au monde dans lequel nous évoluons. De cette écoute totale, fille de l’attention, naît l’intelligence. Et cette intelligence opérera dans toutes les sphères de notre vie.
Quand nous aurons bien fait sentir, comprendre ce qu’écouter signifie, suppose et engendre, nous pourrons alors aborder l’enseignement de la musique à proprement parler ou tout autre matière avec un regard (une oreille ?) neuf.
Choix et liberté
À supposer qu’une majorité de décideurs, d’éducateurs et autres spécialistes auront porté l ‘écoute au niveau d’un art, les réponses quant au comment enseigner la musique ne seront plus des choix mais des évidences nées de cette intelligence issue de l’attention.
Nous pensons, à tort, que pratiquer des choix est le résultat de la liberté en action. Si notre perception est pure, que nous sommes lucides, il n’y a pas de choix. Ce n’est que dans le doute et l’incertitude que nous commençons à choisir. La liberté ne peut coexister avec la confusion.
L’angle choisi pour enseigner une matière dépend de ce que l’on souhaite réaliser à travers cet enseignement.
S’il s’agit de montrer quoi penser on penchera vers une éducation axée sur des connaissances théoriques. S’il s’agit de montrer comment penser on ira vers plus de créativité, d’expérimentation, de développement de la sensibilité etc. Les deux enseignements pouvant cohabiter.
Une éducation qui formerait des gens sachant vraiment écouter accoucherait dans le même temps de rebelles, parce qu’intelligents, donc sensitifs et pacifiques. Libres.
Et cela est hors de question, n’est-ce pas ?