Mais que croyez-vous? Que pratiquer un art, vouloir le faire honnêtement, véritablement, c'est-à-dire avec toute l'énergie mise à notre disposition, avec toute notre intelligence, notre coeur, nos muscles, nos nerfs, notre temps, notre pensée, notre volonté, notre réflexion est une partie de plaisir? Que se remettre en question constamment, de revenir mille fois sur une phrase, un mot, un geste, une couleur, un son, que douter, tourner en rond pour approfondir comme le dit si bien Cioran n'est pas se faire violence?
Combien de fois je suis sorti d'un concert complètement démoralisé, abattu, mon esprit en lambeaux parce que j'avais conscience d'avoir en quelque sorte trahi la musique, d'avoir été insuffisant. Combien de fois il m'a fallu regarder ma médiocrité en face, la reconnaître? Combien de fois recommencer, refaire, remarcher alors que j'étais sur les genoux? Tomber, rechuter, se relever, retomber...chaque jour, à longueur d'années. Que croyez-vous? Que tout cela ne relève pas d'une violence, d'un combat? Le pire des combats! Celui qu'on livre à soi-même!
Vouloir se dépasser c'est un peu vouloir se perdre de vue, s'absenter à soi-même et atteindre, parfois, ces moments qu'on dit magiques mais qui ne sont au fond qu'une réponse à notre capacité à disparaître. Et cela exige violence à soi-même, ce "moi" qui veut à tout prix briller, exister.
En art "je" n'exprime rien.