Je suis à l’hôtel de l’aéroport, à la veille du départ pour la Chine. Vingt tournées déjà — le chiffre me surprend à peine, tant les départs finissent par s’effacer les uns dans les autres, comme les vagues d’une même mer. L’hôtel, lui, est fidèle à sa mélancolie fonctionnelle : tout y est propre, net, impersonnel. On devine, derrière le sourire convenu du réceptionniste, la conscience que personne ne reste ici pour demeurer. Les hôtels d’aéroport sont des antichambres du monde, des sas où l’on attend d’être aspiré ailleurs.
J’y ressens toujours une étrangeté particulière : ces lieux semblent hors du temps. Pas vraiment dans la ville, pas encore dans le voyage. En général on y dort pas très bien, non par inconfort, mais parce qu’on est déjà un peu absent de soi. Les couloirs sentent la fatigue recyclée, les ascenseurs montent et descendent apparemment sans but, transportant des silhouettes qui ne font que passer. Ici, tout le monde part, personne n’arrive. Les visages se croisent, neutres, unis par le même vertige du départ, par la même hâte feutrée.
Je regarde les avions décoller (ils sont peu nombreux à cette heure-ci) derrière la vitre de ma chambre. Chacun trace un sillage qui s’efface aussitôt, comme si le ciel lui-même refusait la mémoire. Dans ce décor, je me sens à la fois léger et désincarné, prêt à me dissoudre dans le mouvement. Il y a dans ces moments-là une beauté discrète, presque métaphysique : celle d’être nulle part, entre deux mondes, suspendu.
Demain commencera la traversée : dix concerts, du nord au sud, dix villes où l’air, les sons et les visages changeront à chaque escale. Mais pour l’instant, je suis encore dans ce temps flottant où rien n’a vraiment commencé, où le voyage n’est qu’une idée qui palpite derrière la vitre.