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23 juillet 2015 4 23 /07 /juillet /2015 01:12

Ce que tu es maintenant n'est pas ce que tu étais il y a un instant. Ce qui est vivant bouge, se transforme continuellement.

La vie est insaisissable. Comme le feu. On ne peut comprendre la vie. Elle est. Et plus tu voudras la saisir plus elle s'éloignera. La vie est un poisson.

Elle s'évanouit, se fige à la moindre inattention. Le temps d'écrire un mot et te voilà transformée. Le temps de nommer et la voilà partie.

La continuité réside dans la mémoire. Le moi est la mémoire et la pensée s'en nourrit. Penser au futur c'est encore penser avec hier. Penser au présent c'est penser avec il y a un instant.

Le penseur et la pensée ne sont pas séparés. L'un est l'autre.

Derrière tout cela? Le vide. L'origine. La racine et le faîte à la fois. Sans intention, intelligent, au-delà bien et mal. Ce vide qui donne un parfum aux fleurs et des crocs aux carnivores.

Infini devant, infini derrière. En-haut, en-bas, infini. Dans toutes les directions puisqu'il n'y a pas de direction.

Entre l'infini et l'infini?

Un spasme.

Merveilleux spasme qui a le bon goût de ne pas s'éterniser.

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Published by Yannick Rieu - dans Culture
17 juillet 2015 5 17 /07 /juillet /2015 16:35

Cher John,

La vie est merveilleuse et la mort fascinante.

Ce sont souvent les grandes tensions qui font les grands artistes. Comme tu as dû souffrir! Je suis heureux que tu aies vécu et heureux que ton calvaire soit terminé. Aujourd'hui est l'anniversaire de ta délivrance, je ne peux que me réjouir.

C'est un peu égoïstement que je te reprocherais d'être trop tôt parti...ou c'est peut-être moi qui suis né trop tard!

À mes yeux tu es encore, six pieds sous terre, bien plus vivant que bien des vivants de mon époque. On a jamais fait autant de films sur les vampires et les zombies, ça doit sûrement dire quelque chose!

Mon époque...Si tu la voyais...Si tu la vivais...Quoi? La tienne était pas mal aussi? La guerre mondiale, Hiroshima, le Vietnam, la guerre froide...Oui, c'est vrai, tu as vécu tout cela...Tu as connu ces horreurs...

Tu voulais la paix, ils faisaient la guerre, tu jouais la vie, ils semaient la mort.

Je vais te dire, leur semence a fait des petits, tout ça a pris racine! Faut dire que le terrain est propice...L'ignorance et la peur sont des soeurs qui s'engendrent!

Tu vois, on a des images claires de Pluton depuis peu mais de nous-mêmes...On ne voit pas grand chose! On pense encore que le bonheur est à des milliards de kilomètres! Notre regard porte beaucoup trop loin si je puis dire!

Je te l'ai dit, le terrain est propice!

Oui John, la vie est fascinante et la mort merveilleuse!

Bises!

Yannick

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Published by Yannick Rieu - dans Culture
8 juillet 2015 3 08 /07 /juillet /2015 20:05

Tout d’abord et à l’instar de Normand, je serai obligé de convenir d’une idée, celle qu’éduquer est de rendre l’humain libre. Nous allons supposer que l’ensemble de la profession comprend et souhaite cela.

Constat

Notre époque est bruyante. Nous sommes bruyants à « l’intérieur » comme à l’extérieur. Nos cerveaux s’affolent, notre parole perd en qualité ce qu’elle a gagné en quantité. Collectivement nous sommes confus, perdus, brouillons, impuissants, hésitants, éparpillés. Le vide, le calme, la lenteur, le silence sont devenus des spectres qu’il faut à tout prix éviter, des pièges dans lesquels s’il fallait s’y prendre trop fermement, feraient de nous, aux yeux de la plupart de nos contemporains, des sous-humains, des humains ratés, dépassés, non performants, ringards, anachroniques.

Écouter - le goût du silence

Pour répondre à cette hystérie collective je crois que, dans un premier temps, il serait sage de réapprendre à écouter, redonner le goût du silence. À mon avis ce serait une première étape à franchir, une base sur laquelle tout le cursus scolaire pourrait s’appuyer. Le cours de musique deviendrait un moyen d’aborder l’écoute avec la conscience qu’elle est un outil qu’il faut redécouvrir et affuter constamment. De plus, l’art d’écouter-car c’en est un-, servira pour toutes les matières et pour toute la vie, dans toutes les circonstances.

Durant un séjour en Chine où j’enseignais la musique j’ai tenté une petite expérience. J’ai demandé aux étudiants de prendre en note tout ce qu’ils entendaient au cours d’une marche que nous prenions ensemble. Les résultats furent intéressants. Là où des dizaines de sons pouvaient être perçus, seulement 7 ou 8, en moyenne, étaient notés.

Or étudier et/ou faire de la musique c’est d’abord écouter. Attentivement.

Entendre c’est subir, écouter c’est agir

Écouter c’est s’arrêter, se taire, prendre le temps, se fondre, suspendre la pensée, celle qui juge, jauge, évalue, analyse, compare, mesure. Que de choses doivent mourir pour parvenir à cet état de réception ! Écouter c’est observer et il n’y a d’observation totale que quand le « moi » est absent. Qu’on me comprenne bien ici, il n’est pas question de pseudo-ésotérisme et son fatras mais bien d’un état que beaucoup de musiciens, entre autres, connaissent : la disponibilité.

Écouter c’est aussi aller vers l’autre, sortir de soi ; que ce soit la musique, les paroles de quelqu’un, les sons et bruits qui nous environnent. Écouter c’est être attentif, présent au monde dans lequel nous évoluons. De cette écoute totale, fille de l’attention, naît l’intelligence. Et cette intelligence opérera dans toutes les sphères de notre vie.

Quand nous aurons bien fait sentir, comprendre ce qu’écouter signifie, suppose et engendre, nous pourrons alors aborder l’enseignement de la musique à proprement parler ou tout autre matière avec un regard (une oreille ?) neuf.

Choix et liberté

À supposer qu’une majorité de décideurs, d’éducateurs et autres spécialistes auront porté l ‘écoute au niveau d’un art, les réponses quant au comment enseigner la musique ne seront plus des choix mais des évidences nées de cette intelligence issue de l’attention.

Nous pensons, à tort, que pratiquer des choix est le résultat de la liberté en action. Si notre perception est pure, que nous sommes lucides, il n’y a pas de choix. Ce n’est que dans le doute et l’incertitude que nous commençons à choisir. La liberté ne peut coexister avec la confusion.

L’angle choisi pour enseigner une matière dépend de ce que l’on souhaite réaliser à travers cet enseignement.

S’il s’agit de montrer quoi penser on penchera vers une éducation axée sur des connaissances théoriques. S’il s’agit de montrer comment penser on ira vers plus de créativité, d’expérimentation, de développement de la sensibilité etc. Les deux enseignements pouvant cohabiter.

Une éducation qui formerait des gens sachant vraiment écouter accoucherait dans le même temps de rebelles, parce qu’intelligents, donc sensitifs et pacifiques. Libres.

Et cela est hors de question, n’est-ce pas ?

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Published by Yannick Rieu - dans Culture
30 juin 2015 2 30 /06 /juin /2015 14:35

Victor est parti. Le monde du jazz en émoi. Avec raison. Petit texte écrit en 2015.

Merci pour tout.

Ton humanité, ta simplicité, ta franchise, ton sens de la justice, ton mépris pour les esprits bornés. 

Et merci, surtout, pour ta musique!

"Be logical!" hurle Vic au pauvre tromboniste qui se liquéfie sous ces mots. Je l'entendrai souvent ce "be logical". "Tell us a story", "Don't play stacato in your solo", "Don't play in your stand", "Be lyrical"... Combien de petites phrases toute simples mais tellement utiles...

Depuis l'âge de 14-15 ans, depuis que le jazz est entré dans ma vie, le nom de Vic Vogel est associé à cette musique.

Je me souviens.

Son passage au Saguenay (1977 ou 78?) était pour moi tout un évènement. Les meilleurs musiciens du Québec rassemblés dans un orchestre! Le Vic Vogel Big Band représentait le nec-plus-ultra, le sommet des sommets en jazz. Vic c'était le jazz!

L'orchestre joue sur une scène extérieure. Il fait beau. La bombe! Je suis sur le cul, littéralement (nous sommes assis sur l'herbe) et métaphoriquement!

Ça bouillonne, ça pète, ça flammèche, crépite, explose. Ça caresse aussi, c'est doux et rugueux à la fois, fort et souple. Mon coeur, lui, brûle, mon sang ne fait qu'un tour mais quel tour! Les montagnes russes de La Ronde à côté c'est de la gnognotte! Je suis emporté par le son, par l'énergie incroyable qui se dégage de l'orchestre.

Un jour je jouerai avec Vic. Pour Vic serait plus juste.

Fin 1985 début 86. Des années ont passé. Je suis à Montréal depuis moins d'un an, un an à écumer les bars plus ou moins sordides, plus ou moins malfamés, à faire le boeuf comme on dit en France, à courir les jam-sessions comme on dit ici. Des milliers d'heures passées sur mon instrument. Je joue dans le métro pour gagner quelques sous, tire le diable par la queue. Dans le bonheur, dans la joie. Je me fout de tout, je joue.

Le téléphone sonne. On me demande de passer à une répétition du Vic Vogel Big Band. Je n'y crois pas. Je rêve! J'ai surtout la trouille en fait.

Autodidacte en jazz, je me sens un peu comme un arnaqueur, j'ai le syndrome du gars qui ne devrait pas être là. L'usurpateur dans un band de pros.

J'arrive depuis peu de mon Saguenay, je ne comprends ni ne parle anglais (merci l'école!). Mais qu'est-ce que je fout ici?

Un drôle de sentiment m'habite. De drôles de sentiments devrais-je dire! Je suis dans l'orchestre le plus "hot" en ville, parmi les virtuoses que j'admire depuis que j'ai 15-16 ans, je devrais être heureux, content, satisfait...Quelque chose comme ça quoi! Je le suis mais quelque chose me dit que je suis fini. Voilà! Tu joues dans l'orchestre de tes rêves...et après?

Fébrile aussi, une peur me noue l'estomac, me prend à la gorge. Et si on découvrait que je suis un arnaqueur? Que je ne sais rien ou presque? Que je ne comprends rien de ce qui se dit autour de moi?

Oui, et après? Je les emmerde! C'est pas simple, je vous l'ai dit. Des dizaines de sentiments contradictoires s'entrechoquent en moi.

Oui, je les emmerde ces professionnels! C'est pas moi qui les ai appelé, c'est eux! S'ils ne sont pas contents, ils ont qu'à me mettre dehors!

Petite revanche? Peut-être.

Cette attitude, était-elle reliée à mon (très) court séjour à Mc Gill? Deux semaines en 1980! Mon jeu avait été qualifié de trop moderne par le directeur du big band de l'université (je tairai le nom de cet imbécile). Je me suis tiré vite fait de cette institution qui sentait un peu trop le renfermé à mon goût. Heureusement cela a changé.

Une espèce de revanche sur les musiciens et professeurs (pas tous!) qui m'avaient rejeté, moi le francophone un peu fou qui jouait "trop moderne"?

J'arrivais dans une famille et comme beaucoup de famille, les rapports entre ses membres n'étaient pas toujours simples. Il y avait des tenants de la politique "Mc Gillienne" dans l'orchestre...

Heureusement le père (Vic!) tenait tout cela avec une main de fer dans le velours de la musique. Ou une main de velours dans le fer (faire?) de la musique. Au choix.

Vic est peut-être le plus sentimental des êtres que j'ai rencontré dans ce métier. Comme beaucoup de ces hyper-sensibles, il cache cette vulnérabilité derrière un personnage un peu rustre, lourdaud même parfois, une image du fort en gueule, du macho indestructible buvant, mangeant, rigolant, baisant. Ça marche avec les médias, souvent à la surface des choses. Le plus étonnant, c'est que certains musiciens y croient à cette image. Pas moi.

J'ai vu derrière cette façade un amoureux, quelque chose de très fragile, un trésor que Vic prend bien soin de ne pas exposer à n'importe qui.

J'ai vu un être vivant, unique, détonnant et déroutant beaucoup de gens. Une fée qui se serait déguisée en ogre. Dans un Québec parfois si monotone, gris et morose d'esprit, Vic m'est apparu comme une lumière, un farfadet à qui on ne la fait pas.

Vous dire que cet orchestre a été une école pour moi (j'y ai joué pendant presque 2 ans) est un cliché. Il l'a été pour beaucoup de musiciens. Beaucoup de joie, quelques moments difficiles (je l'ai dit, on était une famille, il y avait donc un ou deux cons qui s'étaient glissés...)

Quand ça jouait on oubliait tout. Nous étions un. Unique et indescriptible bonheur!

Vic c'est le contraste, quelques concessions (trop à mon goût, c'est pour cette raison que j'ai quitté), des engueulades (toujours courtes), des fous rire (souvent), du sérieux, de la retenu dans les sentiments, une chaleur du coeur vraie, une générosité immense.

Vic c'est le jazz. Vic c'est la vie.

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Published by Yannick Rieu - dans Culture
16 mai 2015 6 16 /05 /mai /2015 23:41

"Dans cette mort rien de triste, cela se passe en pleine lumière avec un soleil qui innonde tout d'une lumière d'or fin"

Van Gogh

-T'as lu cet article?

Jean bouillait. Il était arrivé chez-moi en colère, ce qui, en général, n'augurait rien de bon pour les responsables de sa mauvaise humeur.

-Non, pas eu le temps, je travaille...

-Non mais c'est pas possible écrire des âneries pareille! Cette journaliste, et là je lui fais une fleur en lui donnant ce titre; ce gratte-papier, cette enflure de la plume, cette pisse-froide du verbe...

-Allons! Allons! Calme-toi! Et dis-moi de quoi il en retourne!

-Cette Célia Burn qui prétend écrire sur la musique...Écrire tout court...Un ramassis d'inepties sur des concerts qu'elle a vu...Elle n'a aucune mais aucune idée...Elle n'a jamais rien écrit qui me ferait penser ou seulement soupçonner qu'elle sait ce que "écouter" peut vouloir dire! Elle espère des musiciens ce qu'elle n'a jamais fait, ce qu'elle ne fait pas et ne fera jamais! Du "nouveau"! Du moderne...du contemporain! Moderne c'est déjà trop vieux!

-Faut que tu m'explique un peu là...Tu me perds!

-Pour qualifier la musique, pour lui mettre une étiquette, pour se distancier par rapport à ce qui existait, des musiciens et des critiques ont trouvé des termes comme "musique nouvelle" ou encore "musique contemporaine". Normalement ce sont les historiens, avec du recul, instaurent des catégories pour qu'on s'y retrouve un peu. Je ne pense vraiment pas que Bach savait qu'il composait de la musique baroque! Tu vois?

-Oui, ça me parait évident...

-Alors ces petits futés ont d'emblée, pour des raisons à mon sens bien futiles voire puériles, décidé que leur musique relevait de la nouveauté. À mon avis, elle relève plutôt d'un certain mépris doublé d'une prétention de vouloir faire table rase (ce qu'ils étaient incapable de faire: on ne peut faire table rase de ce que l'on ne connait pas ou peu!) de tout un passé riche, le mot est faible, et en même temps d'un désir de se démarquer (pourquoi?), de se singulariser de la façon la plus facile...On réinvente la musique! Rien que ça!

-Tu es injuste là...Je ne connais pas très bien ce dont tu parles mais les révolutions...

-Justement! Ces mêmes gens qui voulaient changer la donne, se sont les mêmes qui ont profité et qui profitent le plus du système en place! Ces anti-conformistes salariés, ces iconoclastes subventionnés, ces experts de la note qui dérange sont installés et bien installés dans ce qu'ils, selon eux, combattent! De plus, ces petits malins ont le culot de nous faire la leçon, de faire sentir que nous sommes, finalement et après tout, trop conventionnels, trop bourgeois, trop arriérés pour apprécier leur complaisant vomi, leur éjaculation musicale informe, leur dessous-dessus! Leur musique me fait penser, dans le meilleur des cas, à la rigueur du pantalon de ce jeune dont on voit la raie des fesses...Ça ne tient pas!

-Jean, je ne comprends pas ton courroux, c'est la journaliste ou la musique qui...

-Mais tout ça! D'ailleurs ce n'est pas tant la musique que la démarche sournoise justifiant cette musique dite nouvelle ou contemporaine qui me trouble ainsi! Beaucoup de ces musiciens n'ont aucune idée de ce qu'ils font, ceux qui écrivent dessus font semblant de comprendre, d'y voir une démarche socialement et politiquement nouvelle, en rupture avec le passé, et le public, en tout cas les plus vicieux et les plus snobs, s'affichent à ces concerts pour se faire croire qu'ils font partie d'un monde qui remet en cause l'establishment. Ils se pensent à part, privilégiés...Élus!

-Mais l'article, il traite de quoi?

-Cette Célia (Dieu que je m'ennuie de vrais critiques!), en plus d'écrire comme un manche à balais, nous pond un article d'une condescendance...Attends, je te lis...

"Ce soir, j'ai pu assisté à deux évènements forts différents et pas inintéressants dans leur ensemble. On a pas affaire à du nouveau, du surprenant (tu veux quoi? comme les bagnoles un nouveau modèle à chaque année?) même si les musiciens ne sont pas dépourvus de talent (qu'est-ce que tu connais du talent?). Les deux concerts nous ont offert de la musique typiquement locale (C'est quoi ça la musique locale?). Nous ne serons donc pas trop exigeants envers eux (T'as pas les moyens d'être exigeante!)

D'abord le groupe "Jeux-D-Nonce" (Ouf! quel jeux de mot!): une mixture de sons, de rythmes, de bruits et de paroles qu'on pourra qualifier d'engagés (des sons engagés...faudra m'expliquer...) nous ont montré de quel bois se chauffaient les musiciens. Ne reculant devant rien (???), le groupe aborde des thèmes qui illustrent leur engagement politique anti-conformiste (le conformisme de l'anti-conformisme...). Tour à tour, dénonçant les méfaits du tabagisme et de la drogue (là j'ai carrément rigolé), l'hypocrisie de la religion catholique (s'attaquer à un agonisant...quelle audace!), la cruauté envers les animaux et l'homophobie, ils ont crié leur amour de la liberté et de la justice. L'utilisation de cris, de borborygmes et de multiples effets souvent amusants, les musiciens évitaient les sonorités trop convenues et prévisibles (???). L'utilisation judicieuse de jouets d'enfant (petites flûtes, crécelles, pipeaux, sifflets) a non seulement ajouté cette touche de naïveté qui colore cette musique mais nous a démontré la créativité (les grands mots sont lâchés!) de ces créateurs (la créativité des créateurs...oui oui Célia...). Rien de nouveau (on le saura...) mais saluons le courage (!) de ces musiciens qui osent s'aventurer hors de sentiers battus.

Je laisse le directeur artistique du groupe résumer leur vision.

Question: "Votre travail s'inscrit-il dans un courant particulier?"

Réponse:"Nous évitons le plus possible d'être influencé par d'autres musiques. Nous tenons à notre identité et en cela écoutons peu de musique. Nous créons une musique enraciné dans notre vécu personnel"

-Je continue?

-Vas-y! Essaie de ne pas trop entrecouper ta lecture de commentaires s'il te plaît...

-Alors...Attends que je retrouve le passage...

"Le John Ryder Quartet nous présente une musique cette fois-ci enraciné dans le jazz pur (Jazz pur? c'est quoi ça?...je m'excuse PA...j'arrête...). L'ambiance est plus relâchée et le public plus nombreux qu'au concert précédent. Très impressionnant, le batteur et chef du groupe s'est montré envahissant. On aurait aimé entendre un peu plus et un peu mieux ses trois acolytes. Ryder ne réinvente pas la roue (regard amusé de Jean...) mais le swing ternaire de la musique me rappelle des soirées mémorables passées à New-York où le vrai bon jazz reste accessible un peu partout. (autre regard de Jean dubitatif) John Ryder d'ailleurs nous a affirmé (traduit de l'anglais):"Yeah man! (sourire de Jean) Vous savez le jazz c'est cool comme musique! Faut que ça swingue et un bon solo, c'est cool! On s'amuse bien et j'espère un jour vivre à New-York, c'est là que ça se passe!"

On lui souhaite. Peut-être trouvera-t-il une voix en côtoyant de grosses pointures.

-Je ne vois rien là de bien...

-Exactement! Parce qu'il n'y a rien à voir! Aucune analyse sérieuse, la journaliste ne fait que rapporter ce qu'elle a vu et crû entendre! Elle ne nous dit pas en quoi ces musiques sont ou non pertinentes. Pourquoi? Parce qu'elle n'a aucune idée de ce qui se passe! Critique de musique n'est pas présentateur météo bon Dieu! On peut pas juste décliner ce qui se passe sous nos yeux et nos oreilles! Tu vois? Il ne suffit pas de nous dire si elle aime ou pas, on s'en fout! Analyse mon vieux, analyse!

-J'ai trouvé intéressantes ses questions moi! Elle a pris le temps de rencontrer les musiciens au moins!

-Un bon point! Légèrement...succinct! Et pas de réaction sur les réponses...

-Tu t'attends à quoi au juste? Qu'elle prenne position? Me semble que ce n'est pas son rôle...

-Critique mon PA! Critique! Ça te dis quelque chose ce mot? J'adore les émissions sportives...Ils sont plus intelligents que dans la culture! On fait de vraies analyses! Ça fouille, ça scrute, dissèque, compare, jauge, ça s'intéresse à l'histoire, on connaît les joueurs, ce qu'ils ont fait ou pas fait et j'en passe!

-Oui mais dans le sport ce sont des centaines de milliers de gens que ça intéresse et c'est beaucoup d'argent!

-Oui...La culture tout le monde, ou presque, s'en fout au fond...

-Non mais...

-T'as qu'à voir qui présente et qui parle de la culture à la radio, à la télé!

-Je les trouve sympa...

-La question n'est pas là PA! Tu crois que ces personnes "sympas" font de la critique? C'est bien gentil, consensuel la plupart du temps, bisounours, complaisant trop souvent, insignifiant quoi! Des critiques qui ont perdu tout sens...critique! En ont-ils les moyens?

-T'es toujours...comment dire...tellement négatif! Quelque chose de valable à tes yeux des fois?

-Faut que j'y aille...Dernière chose...Comment critiquer quelqu'un qui, comme Dieu, crée? Une création, en principe, est intouchable! Nous ne sommes plus entourés d'artistes ou d'artisans mais de créateurs! Ce glissement sémantique me paraît suspect...

Jean, sur ces mots, me fit l'accolade et s'en alla plus serein qu'à son arrivée. Je me demandais ce qui pouvait bien motiver cette colère, car après tout, il y avait des choses pas mal plus grave qui se passaient dans le monde que cet article de journal.

Je retourne à mon travail et tombe sur cette phrase de Nietzsche qui soudain résonne en moi: "Encore un siècle de journalisme et les mots pueront"

C'était en 1882...

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Published by Yannick Rieu - dans Culture
12 mai 2015 2 12 /05 /mai /2015 16:14

La douceur triomphe de la dureté ; la faiblesse triomphe de la force.

Lao-Tseu

Cela faisait plusieurs jours que je n'avais pas de nouvelles de Jean. D'habitude nous nous téléphonions pour prendre rendez-vous ou tout simplement pour jaser un peu. Avec le retard pris dans mon travail, je n'avais pas donné de mes nouvelles et lui...La rédaction prenait tout mon temps et je séchais sur des textes un peu rébarbatifs. Panne d'inspiration, panne d'idée, panne d'enthousiasme. Dans le désordre. Il était peut-être temps que je sorte de mon mémoire et que j'aille chercher un nouvel élan ailleurs, hors de mon sujet.

Un coup de fil. Pas de réponse. Deuxième coup de fil quelques heures plus tard. Toujours pas de réponse.

Était-il encore dans un de ses moments où il ne communiquait avec personne? Ça lui arrivait assez souvent de prendre des pauses sociales, comme il les appelait. "Hygiène isolatoire" ou "bains de silence", Jean avait des formules bien personnelles pour nommer ces moments où il jouait (il n'aimerait probablement pas ce mot) à l'anachorète.

Je pris mon vélo. La température douce de ce mercredi soir de septembre s'y prêtait bien et pour dire vrai transforma mon périple en un pur moment de bonheur.

La caresse amicale du vent sur mon visage, le plaisir de pédaler, activité simple et répétitive qui favorise la méditation ou la réflexion, la joie de fournir un effort minimal pour un déplacement-silencieux-maximal, une sensation d'indépendance, la même qu'on doit ressentir sur un voilier quand le vent nous pousse, cet espèce d'isolement et en même temps la sensation d'être proche du paysage qui défile. Tout cela participait à ce fugitif instant privilégié. Je pensais: que de chemin parcouru depuis ma première rencontre avec Jean!

J'arrive chez mon ami, barre soigneusement ma bicyclette.

Voler un vélo! Quelle chose ignoble! Une banque, une voiture...de luxe de préférence! Un vol de banque bien fait, sans violence et qui rapporte, c'est beau! Voire admirable! Je sais, c'est illégal, mais moralement ça se discute...Voler une bicyclette? Quelle lâcheté! C'est sans défense un vélo! Ça ne demande rien, c'est souriant et sympathique! Faut vraiment être un sale con pour s'attaquer à si faible; aussi courageux que s'attaquer à une vieille ou à un vieux, un enfant...un bébé!

Je frappe et refrappe à la porte. Au bout d'un moment alors que je m'apprêtais à abandonner, Jean, en pyjama, vient m'ouvrir, pas rasé, l'oeil torve. Pas l'air content de me voir l'ami!

-Qu'est-ce que tu fabriques ici?

-Je t'ai appelé, ça ne répondais pas...

-Ça? C'est qui "ça"?

-"Tu" ne répondais pas (pas content du tout l'ami)

-Non, j'ai décroché le téléphone...Bon allez...Rentre!

-J'peux repasser une autre fois, y fait beau, un p'tit coup de vélo...j'ai pensé...

-Ça va ça va...Rentre je te dis, j'allais me faire un café.

-À cette heure??

-Quoi à cette heure? Il est quelle heure?

-Attends que je regarde mon cell...Dix heures.

-Déjà? Quel jour sommes-nous?

-C'est pas possible...Nous sommes mercredi, on s'est vu vendredi passé...Le Jazzclub, la pluie, les chats...

-...La robe rouge, oui je me souviens! J'suis pas encore sénile comme tes vieux! J'ai juste perdu la notion du temps, j'avais des trucs à faire.

Nous rentrons dans son petit appartement.

Des livres, des disques, des revues, boîtes de pizza, des vêtements-pantalons, chaussettes, t-shirts, chemises, sous-vêtements- des coussins, des crayons, stylos, des feuilles de papiers, des journaux, une lampe renversée (qui n'a pas dû fournir de lumière depuis...des lustres!), des tasses, des verres, fourchettes et autres ustensiles...Un capharnaüm bordelistique fabuleux! On ne pouvait pas faire un pas sans marcher sur quelque chose qui ne devait pas y être! Comme une vague qui aurait balayé l'appartement, le fouillis s'étale jusque dans la cuisine où Jean se prépare un kawa.

-De l'eau pour moi.

-Va te chercher un verre, regarde sous la chemise verte à ta droite.

-Tu sais te retrouver dans ce...

-Je sais où je range mes affaires!

-T'appelles ça ranger?

-D'accord, c'est pas ordonné mais...

-Et si je te demandais...Je sais pas moi...euh...Le disque de Chester Young qu'on a écouté la dernière fois?

-Lester! Lester Young! Dans l'aquarium vide, à côté de la table, sous la couverture carrelée.

-Ok! Ok! (je vérifiai quand même... et rapporta un verre)

-Regarde dans le frigo, il y a de l'eau de source. Passe-moi le litre de lait par la même occasion.

J'ouvris le frigo; se trouvait dans la porte un litre de lait ainsi qu'une bouteille d'eau, les deux contenants coincés par le portefeuille de Jean qui les séparait et les maintenait bien arrimés sur l'étage du bas.

Alors, me demanda-t-il entre deux gorgés de café, ça avance ton mémoire?

-Pas mal menti-je, mais là (me rapprochant de la vérité) je suis en panne. J'ai des textes à lire un peu rébarbatifs...chiants pour être franc!

-Pourquoi faut-il que tu te tapes ces textes?

-Pour mon mémoire pardi! Ce que tu me disais à propos de la musique, de l'effort à fournir...Et bien, c'est la même chose!

-Pas tout-à-fait, mais je comprends. Ici on parle d'un effort de compréhension intellectuel, la musique, c'est différent. Ici la volonté, là l'immersion. Concentré ou attentif, tu te souviens? Tu saisis la différence? On reçoit la musique comme on reçoit le soleil, l'effort est inutile et même nuisible en ce qui concerne la musique.

-Oui, je me souviens maintenant. Et toi? Qu'est-ce que tu as fait ces jours-ci?

-J'ai réfléchi.

-À propos de...?

-Plusieurs choses...

-Comme...

-La force de la faiblesse par exemple.

-Mmm...La force de la faiblesse...Un concept oriental non?

-Si tu veux...je préfère me pencher sur sa pertinence que sur son origine si tu vois ce que je veux dire...

-Je ne saisis pas très bien comment la faiblesse peut être...forte!

-Voyons voir...Prenons ces gens qui se disent voltairiens, pas tous bien sûr! qui sont pour une liberté de parole ou d'expression si tu veux, tant que tu vas dans leur sens, pas de problèmes! Mais si tu t'avises de diverger de leurs opinions, alors là c'est la chasse! Ils érigent des barrières, ils installent autour de toi un silence, littéralement, ils te coupent la parole. Ils te débranchent socialement.

-Pour ça tu n'as pas besoin d'eux! Tu te débranches toi-même sans leur aide!

-Oui! Et c'est pour cette raison que je suis libre. Je n'ai de comptes à rendre à personne. Je n'ai pas peur de déplaire. Je n'ai rien à défendre, pas de boulot à perdre, rien à protéger. Je suis "faible" et c'est précisément cette faiblesse qui me rend fort.

Et tes textes? C'est à quel propos?

-Ils portent sur la stratégie de communication pour faire comprendre et accepter le droit d'ingérence

-Belle saloperie que ce droit d'ingérence si tu permets! C'est pas Kouchner qui le premier a utilisé ce terme?

-Oui, j'ai d'ailleurs un texte de lui à lire

-Mmm...Dis-moi, as-tu déjà vu des faibles s'ingérer dans les affaires des forts? Ce n'est rien de moins que du néo-impérialisme sous couvert humanitaire! Cette gauche droitsdelhommiste libérale est à vomir! Elle fait tout ce que la droite rêvait de faire sans jamais oser tout-à-fait! T'as vu en France?

-Quoi?

-Ils sont en train de préparer une loi pour condamner le geste de la quenelle! Même en Russie au pire moment du communisme on est pas allé aussi loin! Et c'est pas fini! On arrête un enfant de huit ans pour apologie du terrorisme, on refuse l'entrée à une jeune lycéenne de 15 ans pour port de jupe...trop longue! Sont devenus complètement dingues!

-Faut les comprendre, après les attentats de Charlie Hebdo, tout le monde a peur!

-Si on était pas allé les emmerder chez-eux on en serait peut-être pas là!

-ce qui est fait est fait...

-Mais ça continue! L'arrogance, l'avidité, la cupidité et l'inconscience d'une toute petite partie de la population occidentale est responsable de ce désastre! Quand j'ai vu ces mêmes personnages, ce même esprit, défiler dans les rues de Paris en prétendant être Charlie, je me suis dit que peut-être je n'étais pas si Charlie que ça! Pas comme ça en tout cas!

-Oui, j'ai vu la photo...

-Truquée! Enfin recadrée pour être juste...Ça t'en dit pas long toi? Les gens se font foutre de leur gueule et ils applaudissent! En redemandent!

Encore une fois tu caricatures un peu...

-À peine.

Nous parlâmes encore une bonne heure avant que j'enfourche à nouveau mon vélo.

Sur le chemin du retour, je pensai à ces millions de gens victimes des politiques de nos dirigeants. Directes et indirectes. Des milliards peut-être...

Je me demandais jusqu'à quand qualifierait-on ces dommages de "collatéraux".

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Published by Yannick Rieu - dans Culture
10 mai 2015 7 10 /05 /mai /2015 20:09

« Tant qu'on n'aura pas diffusé très largement à travers les hommes de cette planète la façon dont fonctionne leur cerveau, la façon dont ils l'utilisent et tant que l'on n'aura pas dit que jusqu'ici cela a toujours été pour dominer l'autre, il y a peu de chance qu'il y ait quoi que ce soit qui change. »

Henri Laborit, Mon Oncle d'Amérique

La rédaction de mon mémoire a pris du retard. Je vois Jean régulièrement depuis cet été et nos rencontres sont maintenant journalières. Je me rends compte que nous sommes très différents l'un de l'autre et que c'est cette différence qui nous attire et fait de nos réunions des moments privilégiés. C'est à chaque fois un défi que je me lance, je veux dire par là que sa pensée est assez iconoclaste, son tempérament bien trempé, d'un seul bloc, ce qui fait dire aux imbéciles qu'il est violent. Sa pensée est assez loin de celle de la plupart de mes amis (les filles aussi), quand il en ont une! Ma mère ne l'aime pas, elle le déteste en fait. C'est assez réciproque même si Jean y met moins de hargne. Il la voit comme une victime d'elle même et pour cela, fait preuve d'une magnanimité dont je lui suis gré. Le fait-il au nom de notre amitié? Peut-être et peu importe la raison, je ne l'apprécie que plus et mieux.

Ah! Solange! Mère de 6 enfants dont l'un s'est suicidé d'un retour de mission à l'étranger, elle est encore, à soixante-quinze ans, pleine de vie.

Elle mange bio, fait du yoga, suis des cours pour adultes, prend de longues marches de santé, lit le journal tous les jours, s'informe à la télé des dernières nouvelles, bref elle vit sa vie pleinement. C'est elle qui a poussé mon frère à s'engager dans l'armée.

"Au moins tu seras utile à quelque chose" lui avait-elle asséné

Un peu plus jeune que moi (il est le cadet et moi avant-dernier), mon frère avait abandonné le CEGEP au moment où notre père nous a quitté. Il est parti sans prévenir. C'est de notre mère, en revenant de nos cours, que nous avions appris la nouvelle. Elle semblait peu ébranlée et pour tout dire, assez étrangement, presque soulagée de son départ.

Envolé, disparu, mort d'une certaine façon. Pas de nouvelles, pas un mot, pas de coup de téléphone (ma grande soeur m'appris beaucoup plus tard qu'il n'en était rien). Cela a semblé choquer mon petit frère plus que nous l'aurions crû.

C'est vrai, mon frère était le mouton noir de la famille. Pourquoi une haine toute familiale s'était cristallisée sur sa personne? Des conneries, des bêtises, il les avait collectionné bien avant le départ de papa! Tout comme mes deux autres frères d'ailleurs. Pourquoi fut-il le réceptacle de tant d'indifférence, de jalousie, de rancoeur et finalement d'ostracisme? Jean avait plusieurs réponses à cette question. On en parlait de temps en temps, ce qui déplaisait hautement à ma mère quand je lui faisais part des réflexions que nous partagions, Jean et moi.

"Trop sensible et pas assez outillé pour faire face à toute cette indifférence et cette peine profonde que le départ de ton père semble lui avoir causé" me disait Jean.

Possible.

Depuis l'abandon de ses études, le "bien-aimé" comme se plaisait à l'appeler ma mère-non sans un certain cynisme, faisait de petits travaux à droite et à gauche. Sa nouvelle passion? Le vitrail. Pas malhabile de ses mains, avec un goût assez sûr qu'il aurait pu développer, il s'était mis à faire de minuscules vitraux dans lesquels il insérait des brins d'herbe, des fleurs séchées, des brindilles aux formes diverses, des plantes de toutes sortes. Les résultats étaient dans l'ensemble agréables et hautement décoratifs. On pouvait accrocher ces mini vitraux dans des endroits où le soleil pouvait donner des jeux de lumières inattendus. Cela durait quelque temps, deux, trois, quatre mois; il se lassait pour passer à une autre passion fugitive. Cabanes d'oiseaux, réfection de meubles, fabrication d'horloges et ainsi de suite. Pas de constance, que des circonstances.

Sans trop de surprise de notre part, l'idée de l'armée lui plût sur le moment. Il monta vite en grade: de simple soldat à caporal, de caporal à caporal chef, de caporal chef à sergent, le tout en un peu plus d'un an. J'ai su par ses collègues à son enterrement qu'il était fort apprécié, toujours prêt à faire les sales besognes, le coeur sur la main, toujours à se sacrifier pour les autres. Il était reconnu, il existait! Ses galons en faisaient foi!

Ah! Solange! Toujours prête à défendre les autres. Tu es pour le respect des droits et milites activement pour eux: droits de l'Homme, des femmes, des handicapés (des personnes à mobilité réduites me dis-tu), des travailleurs, des gays, des lesbiennes, des noirs, des juifs, des arabes (un peu moins ceux-là), des enfants, des sourds (je t'imagine me corrigeant encore une fois-des malentendants!), des étudiants (avec une certaine réserve) etc. Tu m'explique que l'amour sauvera le monde et que tu ne fais tous ces sacrifices que pour les autres.

Ah! Solange! Tu as toujours confondu amour et pouvoir! Comme l'écrit si justement Henri Laborit dans son livre "L'éloge de la Fuite" à propos de l'amour : "Avec ce mot on explique tout, on pardonne tout, on valide tout, parce que l'on ne cherche jamais à savoir ce qu'il contient. C'est le mot de passe qui permet d'ouvrir les coeurs, les sexes, les sacristies et les communautés humaines. Il couvre d'un voile prétendument désintéressé, voire transcendant, la recherche de la dominance et le prétendu instinct de propriété. C'est un mot qui ment à longueur de journée et ce mensonge est accepté, la larme à l'oeil, sans discussion, par tous les hommes (les filles aussi-c'est moi qui spécifie). Il fournit une tunique honorable à l'assassin, à la mère de famille, au prêtre, aux militaires, aux bourreaux, aux inquisiteurs, aux hommes (et femmes-c'est moi qui spécifie) politiques. Celui qui oserait le mettre à nu, le dépouillé jusqu'à son slip des préjugés qui le recouvrent, n'est pas considéré comme lucide, mais comme cynique."

Lorsque Jean me lut pour la première fois ce passage, je fus choqué de voir ensemble les mots "bourreaux", "mère de famille", "assassin", "prêtre"! Je ne voyais pas le lien qui pouvait les unir. Mettre sur le même plan des "occupations" si opposées?!

-Va falloir que tu creuses un peu mon PA! Les choses ne sont pas toujours aussi simples qu'on voudrait nous faire croire! Mais attention, si tu creuses, va falloir bien t'outiller contre la bien-pensance qui va vite te mettre à l'écart. Elle ne supporte pas la vérité. Si tu aimes le silence, tu vas être servi!

La mort de mon frère n'aura donc pas été vaine. Dans un sens, et je le remercie ici, il m'aura montré la voie, par la négative, certes, mais tout de même, il m'aura montré la voie.

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10 mai 2015 7 10 /05 /mai /2015 05:50

Sentir avec les yeux, voir par les oreilles, écouter avec sa peau, goûter un paysage...

Quand nous ressortîmes du Jazzclub, vers minuit, le ciel était dégagé. La lune gibbeuse éclairait faiblement la ruelle que nous avions ré-emprûnté pour le retour. Le vent s'était, si je puis dire, envolé; plus rien ne bougeait, tout s'était tu.

Un chat, à quelques mètres de nous, traverse un petit jardin. Jean me fait signe d'arrêter. Nous observons.

Un deuxième chat. On arrive à distinguer ses taches grises sur sa robe blanche immaculée. Il porte un collier. C'est le maître des lieux et fixe l'intrus en mouvement. Celui-ci l'aperçoit au dernier moment, ou a-t-il senti qu'il était observé? Toujours est-il que son attitude se métamorphose, elle passe de désinvolte à quelque chose se rapprochant de la précaution: ses mouvements ont ralenti, il évite maintenant le regard appuyé de son hôte imprévu, sa queue est basse, il continue d'avancer mais ventre à terre. On peut maintenant distinguer son pelage long, ses poils hirsutes, sa grosse tête ronde ornée de deux oreilles trop petites légèrement abaissées. Le chat blanc s'est accroupi. On entend, à peine audible d'où nous sommes, un grondement sourd, c'est un avertissement: tu n'es pas chez toi, c'est chez-moi ici et tu n'es pas le bienvenue. Le matou saltimbanque, poils en bataille probablement infestés de puces, en a vu d'autres. Il feint d'ignorer l'avertissement et poursuit son chemin, toujours au ralenti cependant. Il passe et s'éloigne. Le chat blanc se redresse, passe sa langue sur son museau, lève la tête pour mieux sentir l'odeur de l'envahisseur, jette un dernier regard de son côté et s'en retourne lentement à ses affaires.

Nous reprenons notre marche.

-Intéressant comment l'intrus à réagi face à la menace du chat blanc. Son attitude était claire: je ne fais que passer! T'as vu la beauté de ses mouvements?

-J'ai surtout vu un sac à puces sale et probablement affamé! Répondis-je

-Tu as raison mais n'empêche qu'ils étaient plein de grâce. Si j'étais danseur, je ferais une étude exhaustive sur la gestuelle animale.

-D'autres y ont pensé avant toi!

-Probablement.

Dans un revirement typique à Jean, il me proposa de continuer sur la rue principale encore bourdonnante d'activités malgré l'heure avancée.

Des gens fumaient à l'extérieur d'un bar vomissant une musique techno. Elle se déversait d'abord sur le trottoir pour aller se répandre jusque dans la rue. Il était par moments difficile de distinguer son "chant" des crissements de pneus, des gémissements des moteurs, des klaxons bienheureux ou agressifs et des radios plein volume. Le beau temps (même frais) avait fait ressortir toute la splendeur de la faune urbaine.

-Cette musique à une odeur de fuel, tu trouves pas? Une odeur d'essence et de solitude non assumée. Elle dit quelque chose cette musique!

-Si les musiques traduisent, dans leur ensemble, l'état général d'une société...

-...Alors on est en droit de s'inquiéter!

-Mmm...

-Quand j'écoute du baroque, de la musique de la Renaissance, romantique, moderne ou même, dans certains cas, contemporaine, j'y décèle une capacité des compositeurs à la contemplation, une hauteur, une profondeur et une largeur. Ce sont des musiques à trois dimensions si tu veux! Et peut-être plus!

-Et le jazz?

-Énergique, urbain, solaire, tendre parfois. C'est un cri, mais pas ce cri qui dit: "Regardez-moi!" mais plutôt celui de l'humain qui a mal aux autres.

J'essayais de saisir ce que Jean tentait de me faire comprendre.

Mon téléphone sonne. C'est Pierrot.

-Ouais! T'es où?

-Je suis avec Jean...Non, tu ne le connais pas...Ce soir? Non, c'est trop tard, une autre fois...Ok! Bye!

-Tu réponds toujours quand on t'appelle?

-Hé! C'est pas la peine d'avoir un cellulaire si c'est pour ne pas répondre! Pas toi?

-J'en ai pas. J'suis pas un domestique qui accourt à la moindre sonnerie, non plus qu'un chien qui vient chaque fois qu'on l'appelle. C'est peut-être pour ça que j'ai une tendresse particulière pour les chats et que les chiens me désespèrent. D'ailleurs il y a quelque chose qui relève de la servitude volontaire dans tout cela! La Boétie, tu connais?

-Bien sûr! Mais ça n'a pas de rapport!

-Tu crois? La servitude sauce technologique avec accompagnement de vocabulaire où il serait question de liberté, de communication, d'indépendance...Jamais dans l'Histoire les peuples n'ont fait l'apologie à ce point de leur esclavage! Je te le dis, on leur a fait aimer et il l'aime leur servitude!

Même si j'avais de la difficulté à l'admettre, c'était pas complètement faux.

Devant le bar, les trois quart des fumeurs et des gens qui étaient venus prendre un peu d'air, ou se dégourdir les oreilles, avaient le nez collé à leur cell, la tête penchée vers celui-ci. On aurait pu croire à un signe de repentance généralisé ou mieux, à un signe d'abdication. Inconscient, bien sûr.

Une jeune fille passe tout près de nous.

Sa robe rouge sang est si serrée qu'elle l'oblige à faire de tout petits pas. Ses chaussures à talons hauts lui donnent une démarche peu assurée et à chaque pas qu'elle fait, elle doit corriger son équilibre pour ne pas se renverser un pied. Elle avance cambrée, les seins avant-coureurs, ses fesses se balançant dangereusement d'un bord à l'autre, mettant à chaque fois au défi les lois de la pesanteur et du même coup celle de l'attraction ou de la répulsion, c'est selon...Son visage, ou ce qu'il en reste, est enfoui sous un épais maquillage que bien des clowns lui aurait sans doute envié. Elle doit sortir tout droit de sa coiffeuse, sans doute la même qui fit les coiffures des femmes de la fameuse émission "Dallas". Elle affiche avec assurance son mauvais goût.

Jean n'avait pas tort, ce matou plein de puces avait beaucoup de grâce.

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8 mai 2015 5 08 /05 /mai /2015 18:35

Je me nomme Pierre-Alexandre David Simard Côté Lévesque Godin. Mes amis (les filles aussi) m'appellent PA (prononcez à l'anglaise PI-É). C'est plus court. Mes parents et grands-parents ont toujours été pour l'égalité. C'est lourd mais ce n'est que justice. L'égalité est parfois ridicule vous me direz! Chacun ses opinions.

"Savoir écouter est un art"

Epictète

La pluie tombe maintenant à grosses gouttes serrées. Nous sommes complètement trempés et c'est au pas de course que nous terminons le trajet pour nous rendre au "JazzClub". Le nom n'est pas original mais il dit bien ce qu'il veut dire: ici on présente du jazz et rien d'autre.

L'endroit était modeste, on pouvait y tenir à 50 ou 60 à tout casser. Le prix d'entrée et des boissons raisonnable. La scène minuscule où trônait un piano arrivait à accueillir quatre musiciens (pianiste compris!) qui devaient se tenir tranquille pour ne pas se gêner les uns les autres.

Le concert avait commencé alors que nous bavardions dans la ruelle et, s'approchant du club, on pouvait déjà entendre un saxophone s'étrangler sous les coups d'une batterie hargneuse. Nous arrivions en plein duel.

Jean connaissais naturellement tout le monde ou presque. Après moultes salutations, de nombreux "ça va?", poignées de main et tapes dans le dos, nous prîmes place à une table.

Le patron vient nous voir

-Alors Jean, tu nous amène une nouvelle tête?

-Oui! Je te présente PA. Il n'aime pas le jazz.

-Ah oui? Qu'est-ce qui vient foutre ici?

-Des efforts...

-Très bien! Comme d'habitude?

-Pour moi oui...PA?

-Une blanche bien froide sera parfait.

Je n'appréciais pas la façon cavalière d'avoir été présenté. "Il n'aime pas le jazz". J'étais donc en partant coupable, "étranger", hors secte. Un bleu quoi! Dehors c'est Jean qui semblait mal adapté, ici c'était moi. On apporte les boissons.

J'écoute la musique, Jean est absorbé.

Le saxo, dans ce qui semble être une prise de bras, fait grimacer le batteur par une pression de plus en plus forte. Celui-ci se dégage et frappe vivement son adversaire au ventre qui riposte avec un direct sur le nez. Le batteur saigne, les cymbales aussi. Pas vaincu pour autant, c'est à coups de grosse caisse qu'il étourdit l'ennemi. Arquebouté, le saxo groggy lance tout de même un dernier cri, celui, peut-être, de l'agonie. Le bassiste et le pianiste lui viennent en aide en le soutenant pour le thème final.

-Alors?

-Oui...quoi?

-Tu commences à saisir ce qui se passe?

-C'est la guerre! Violent!

-Tu veux dire énergique peut-être...

-J'avais de drôles d'images qui me venaient!

-Bien! Au moins tu n'es pas indifférent!

Le pianiste entame en solo l'introduction du morceau suivant. Je crois le reconnaître...

-dis donc, c'est pas...

-La ferme!

Je prends une gorgé de blanche.

C'était bien...Je fouillais dans ma mémoire, passant en revue la musique que Jean me faisait écouter. Je connaissais cet air. Bon Dieu! Pas moyen de me souvenir!

Depuis quelques temps, mon ami mélomane s'était mis en tête de faire mon éducation musicale. Je me rendais régulièrement chez lui, deux ou trois fois par semaine, pour suivre ses conseils.

Pas plus tard qu'avant hier, il s'excitait à propos d'un musicien, un certain Chester Young, et d'une chanteuse dont je ne me souviens déjà plus le nom...Cindy...Enfin peu importe.

-Ce musicien a changé bien des choses tu sais.

-Ça sonne un peu vieillot ton truc!

-Mais ferme-la donc et écoute!

J'obtempérai. À Rome fait comme les Romains...

C'est dans ces moments que Jean montrait, sans le savoir, son côté lumineux. Tout chez lui s'allumait, s'animait: ses yeux, ses gestes, même sa peau semblait irradier! Ses pieds marquaient le tempo, ses mains dessinaient les pauses, suivaient les nuances, il devenait chef d'orchestre qui, au lieu de diriger, façonner une interprétation, se faisait porter par celle-ci. Les rythmes, les sons, les voix devenaient les fils invisibles de la marionnette qu'il était devenu.

Jean récepteur de fréquences. Transformant, transformé, naissant et vivant à travers les ondes sonores.

Un chef-d'oeuvre! T'en dis quoi?

-Écoute, je dois t'avouer...je pensais à autre chose...J'ai décroché comme on dit.

-Bon Dieu! PA! Si tu n'écoutes même pas...

-C'est pas facile!

-Je sais. Tu es habitué aux musiques qui n'ont pas vraiment besoin d'être écouté. C'est elles qui viennent à toi avec leurs gros sabots, fardées, dévoilant tout dès la première rencontre! Ce sont des musiques-putassières! Elles se vendent et s'achètent et rien ne se passe!

Là, au contraire, c'est toi qui doit aller vers la musique, elle demande un "effort" qui n'a rien avoir avec la volonté. Cet "effort" porte mal son nom en fait.

-Je ne suis pas sûr de te suivre.

-C'est Renoir Père qui...

-Qui?

-Renoir, le peintre! Dis-moi que ce nom ne t'es pas inconnu!

Je fis une mou qui indiquait ce que Jean redoutais.

-Bravo l'éducation! Combien d'années d'études? Passons...Renoir parlait de la technique du bouchon. Tu suis le mouvement, le courant. Tu te laisse porter. Et que se passe-t-il quand tu suis le courant?

-Tu descends la rivière.

-Oui, mais si le bouchon avait des yeux et des oreilles, ce qui chez toi reste à prouver, tu aurais le sentiment que plus rien ne bouge. Tu fais un avec la rivière.

-Un avec la musique...Je vois!

Je cherchais toujours le nom de cette mélodie...J'ai trouvé! Strange Fruit!

Satisfait, je termine ma bière.

Le piano égrène les dernières notes dans les applaudissements. J'avais pas écouté une note, trop concentré que j'étais à me remémorer des instants passé avec Jean et a trouver le nom du morceau.

Jean me regardais d'un drôle d'air.

-Alors? Encore à lutter contre le courant?

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6 mai 2015 3 06 /05 /mai /2015 17:33

Je me nomme Pierre-Alexandre David Simard Côté Lévesque Godin. Mes amis (les filles aussi) m'appellent PA (prononcez à l'anglaise PI-É). C'est plus court. Mes parents et grands-parents ont toujours été pour l'égalité. C'est lourd mais ce n'est que justice. L'égalité est parfois ridicule vous me direz! Chacun ses opinions.

On était en septembre mais il faisait novembre. La rue que nous empruntâmes était étroite, le vent soufflait dru. Il avait plu et la lumière glauque des lampadaires se reflétait dans les flaques d'eau parsemées sur notre parcours. Le soleil était couché depuis un moment déjà. On sentait dans l'atmosphère quelque chose de nostalgique, un été trop vite passé?

Une vie à peine vécus...Je pensais à mes vieux, surpris que leur existence s'achevait déjà, maudissant doucement le temps que grignote lentement un espoir tardif, prenant conscience tout-à-coup que la mort est entré de plain-pied dans leur vie.

C'est cette maudite rue qui me mettait dans cet état. Plus lugubre que nostalgique finalement! Le vent, la pluie, les arbres menaçants (pourquoi menaçants?), la lumière blafarde...Jean!

Il marchait en silence à mes côtés, légèrement en retrait, les mains dans les poches de son blouson miteux.

-Pourquoi, au lieu de prendre les rues plus achalandées, tu tiens à passer par ce chemin? En plus d'être plus long, de faire des détours inutiles, on a l'impression de marcher dans un cimetière! C'est triste ici!

-Peut-être parce que c'est plus vrai. Tu préfèrerais marcher sur une plus grande artère avec des boutiques, des bagnoles, des gens qui somnanbulent d'un magasin à l'autre?

-Au moins il y a de la vie!

-Rien de moins sûr mon ami! Les morts, les fantômes, les ombres, les inexistants, tu les trouves en pleine lumière, attablés dans un macdo ou au volant de leur BMW espérant rattraper le temps qu'ils n'ont plus à marcher dans une rue comme celle-ci. Les ectoplasmes ne se cachent plus et se croient vivants!

-J'aurais du me la fermer...

Nous poursuivâmes notre chemin, silencieux.

Jean, selon toutes les apparences, n'aimait pas le monde dans lequel il vivait. Il prétendait (j'avais un sérieux doute!) ne pas comprendre les gens qui arrivaient à bien s'adapter dans une société malade. Était-ce un signe de santé ou une forme de psychose?

Moi je me sens plutôt bien...(tiens! Une phrase "moije" comme Jean les appelle) J'ai des amis (des filles aussi), des parents affectueux que j'aime, une vie assez bien remplie: mes vieux, mes études, mes sorties. Il ne semble pas que je sois atteint de délire, de psychose ou je ne sais quoi!

Avait-il deviné mes pensées...?

-Toi qui étudies en communication, peux-tu me dire, en général, de quoi tu parles?

-Quand, avec qui?

-N'importe, avec tes amis, tes parents, tes profs.

-Je ne sais pas...De tout et de rien...Question bien large!

-De tout et de rien, qu'est-ce que tu veux dire?

-On parle boulot, politique, des nouvelles qu'on a lu ou vu, des autres...Je sais pas moi...du sport...

-De la mort, de l'amour, de l'intelligence, de la pensée, du silence, vous n'en parlez jamais?

-Non...pas de ça...C'est des sujets...

-...Trop importants pour qu'on en parle? C'est ça?

-Non...Ça nous vient pas à l'esprit! c'est tout! Et toute façon...

-Quoi de toute façon?

-C'est des sujets pas marrants ça...

-Pas marrants, pas marrants...Ton sujet de maîtrise il est marrant lui? Ce sont de vrais sujets!

-En philo, oui, on a parlé de la mort et du reste...

-Vous en parliez vraiment ou vous vous penchiez seulement sur ce que d'autres en pensaient?

-Non...Oui...On étudiait surtout la pensée des philosophes. C'est très intéressant tu sais!

-Je n'en doute pas un seul instant! Vous n'en parliez pas si je comprends bien!

-Si, quand même un peu...

-Mais pas trop...

-En effet...Pour être honnête, je n'ai aucune idée de ce que mon prof pensait!

-Il ne faisait que "passer la matière", c'est ça?

-Oui, il nous avait averti au début du cours qu'il ne prendrait pas position, que ce n'était pas son rôle.

-Étrange comme posture...Tu ne trouves pas?

-Je ne vois pas en quoi. Il était là pour nous enseigner, pas pour...

-...Apprendre?

-Que veux-tu dire?

-Sa position est celle d'un ordinateur, il restitue ce qu'il a emmagasiné dans sa mémoire. Il peut le faire de manière vivante, intéressante mais cela revient à ça!

-J'ai beaucoup appris...

-...sur ce que les philosophes ou penseurs pensaient de leur vivant! Encore une fois, je confirme, cela est hautement intéressant! Mais ne penses-tu pas que communiquer, si on se réfère à son sens premier, qui est de mettre en commun, a perdu de son sens? Si ton prof s'exclut en quelque sorte de la communication, y a-t-il communication ou seulement de l'information qui passe de "A" vers "B"?

-Je n'avais pas vu cela sous cet angle!

-Toi, par exemple, qu'est-ce que le mot "silence" t'inspire? Il évoque quoi pour toi?

-...Le silence...Bien j'ai lu...

-Non! Pas selon machin ou machine! Toi! C'est à toi que je parle maintenant! Pas à machin ou machine!

-Écoute...Je sais pas...Au fond, je doit t'avouer que je n'y ai pas vraiment réfléchi!

-Mais tu pourrais me dire ce qu'en pense "X" ou "Y"!

-En gros c'est ça...Mes connaissances sont...

-...Mécaniques? De secondes mains?

-Oui, peut-être. Je ne l'aurais pas dit comme ça.

-Mais c'est un peu beaucoup ça...Non?

-Oui, si tu veux...

-Pour parler du silence, il faut l'avoir rencontré, vécu, senti. Sinon, ça ne vaut pas un pet!

-Et la mort? Il faut l'avoir vécu pour avoir une opinion, un avis sur elle?

-Il ne s'agit pas d'avoir un avis ou une opinion, mais d'aller voir! Connaitre n'est pas savoir!

Vaut mieux, quand tu as faim, un mauvais repas qu'un bon livre de cuisine!

Jean avait le don de, un: finir mes phrases à ma place et deux: finir une conversation.

-Marchons! dis-je

-Mais dis donc! Tu deviens sage mon PA!

Je ne relevai pas son sarcasme et me dis en moi-même, avec un soupçon de revanche à la clé, qu'il faudrait bien qu'il m'explique comment on pouvait vivre la mort...de son vivant! Monsieur je-sais-tout n'avait qu'à bien se tenir!

Une fine pluie tombait maintenant. On pouvait voir de gros nuages bas éclairés par les lumières de la ville filer à toute vitesse vers le sud. Couleur de souffre, jaunâtres, ils paraissaient sales à force de se frotter aux cités qu'ils survolaient. On aurait dit des moutons voulant fuir au plus vite ces éclairages qui les montraient sous un mauvais jour.

Le vent redoublait d'ardeur. Nous nous engageâmes dans une ruelle à peine éclairée par les ampoules extérieures que les habitants laissaient brûler par sécurité. On entendait le souffle du vent dans les feuilles, le bruissement caractéristique des quelques arbres ponctuant notre route.

Une porte claquait sur notre gauche, des gobelets de café roulaient dans tous les sens, des sacs de plastique virevoltaient. Les fils électriques s'étaient mis à siffler sous la vélocité accru du vent. Des clochettes, de celles que l'on suspend et qui tintinnabulent au moindre souffle faisant entendre de douce mélodies, semblaient maintenant prises de folie et s'entrechoquaient dans une lutte à finir.

En dépit de tout, on pouvait dire que c'était silencieux.

Une idée, fulgurante, s'impose à moi:

-En fait, il me semble que le silence, le nôtre, soit toujours présent et qu'il suffit d'arrêter de lutter contre le bruit pour l'entendre.

Jean s'arrêta net. Il répéta mes mots.

-Arrêter de lutter, entendre notre silence toujours présent.

Son large sourire illumina la ruelle.

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