C'est l'histoire de Piere Jean Jacques. Ils étaient deux. Deux amis. L'un éminent professeur de littérature et l'autre chercheur en fission nucléaire. Ils passaient de longues et belles soirées à discuter de leur passion respective (tous les deux avaient reçu de nombreux prix et étaient chargés de diplômes attestant de leur immense savoir. Le chercheur était même presenti pour recevoir le prix Nobel en science).
Pas une journée ne se passait sans qu'ils ne discutâsses qui de la théorie selon Berger à propos de la nature des sentiments amoureux dans le contexte contemporain ou alors de la nécessité de construire sa pensée selon les préceptes de Huyigard, grand philosophe Danois ou encore de la beauté des équations incluses dans le théorème de Platford sur la qualification sub-quantique des énergies potentiellement incluses.
Or, ces deux amis étaient toujours insatisfaits, malheureux, rongés par une angoisse qui ne les quittait pas. Cette angoisse faisait qu'ils se plongeaient encore plus dans leurs livres voulant ainsi comprendre, entre autres, l'origine de cette anxiété. Et ils lisaient, lisaient, lisaient...
Plus ils s'enfermaient dans leur monde et plus l'angoisse était aiguë. Croyant s'ouvrir ils se refermaient en fait sur leur larges croyances et savoirs, leurs connaissances étendues, leurs conceptions habiles et complexes, leurs réflexions sinueuses non dénuées d'intérêt. On les invitait souvent à parler lors de conférences, de réunions, de colloques. Toujours avec succès. Pourquoi? Parce que les gens ne voulait pas voir leur souffrance en face. Ils préféraient qu'on leur raconte des histoires, qu'on leur raconte la vie dans les moindres détails. Ils étaient atteints de cette même maladie que les conférenciers. Ces derniers pouvaient tenir le public en haleine pendant des heures en brossant un éventail des dernières découvertes scientifiques ou disserter sur tel ou tel auteur de la fin du siècle passé.
Pierre Jean Jacques vivaient une vie de seconde main. Incapable de taire, ne serait-ce que pour quelques instants, le flôt continue de leur pensée ils vivaient constamment dans le passé. Passé riche peuplé de concepts sur ce que devrait être la vie mais incapable de vivre cette vie, incapable de voir le présent.
Pour eux le présent était pauvre, ils s'y sentaient prisonniers car conditionnés à penser que la vie était ailleurs, dans les livres. Une vie horizontale qui fuyait devant eux. Un long chemin où l'horizon reculait au fur et à mesure que leur savoir de seconde main leur donnait l'illusion d'avancer. Inatteignable, glissant et s'éloignant d'autant plus loin qu'ils "pressaient" sur cette vie, comme un poisson que l'on veut retenir dans ses mains.
Pour ces deux érudits, un coucher de soleil était une structure chimique en mouvance, un chat était un carnivore de la famille des félidés, la jalousie ou l'amour étaient abordés selon tel ou tel philosophe ou psychologue. Ils étaient prompts à se délecter de dialectique.
Pierre Jean Jacques avaient perdu la faculté de voir. Directement. Sans passer par les autres. De s'émou-voir. La poésie restait pour eux que des mots sur une page. Écrite par d'autres. Théorique.
Pierre Jean Jacques avaient perdu le contact.