Je suis présentement au Centre d'Arts Orford où je vais interpréter avec mon trio (Adrian Vedady-John Fraboni) et François Bourassa la suite de John Coltrane "A love Supreme".
À cette suite en quatre mouvements (Acknowledgement, Resolution, Pursuance et Psalm) se greffe un poème, chose assez rare en jazz. Coltrane avait déjà écrit des textes pour d'autres compositions comme entre autres Crescent, Wise One mais sans jamais les avoir édités.
Il existe seulement deux versions de cette suite, l'une enregistrée le 9 décembre 1964 en studio, la plus connue, et une autre en 1965 au Festival de Jazz d'Antibes (France). Les deux versions diffèrent légèrement. Dans la version studio Coltrane utilise des timbales, chante ou plutôt psalmodie une phrase et la répète un peu à la manière d'un mantra à la fin du premier mouvement. La dernière partie est ni plus ni moins le poème (que l'on retrouve sur la pochette) joué en musique. On peut suivre le texte avec la musique et voir que Coltrane reste très proche du rythme du poème, de son déploiement dans le temps, sa ponctuation. Le projet de restituer cette musique bien qu'intéressant, soulève chez moi quelques réflexions.
Une bonne part de l'intérêt de la musique de jazz vient du fait que celle-ci est construite à partir de préoccupations personnels, que ce soit au niveau strictement musicales (approche harmonique particulière, rythme, son etc.) ou extra-musicales (spiritualité, politique, sociologique) le tout débouchant sur une musique unique, originale, porteuse de sens. C'est pourquoi, à mon avis, on ne peut jouer la musique de Coltrane ,dans le cas qui nous intéresse, comme en classique on jouerait du Mozart, sans perdre ce qui fait sens dans cette musique. Cette façon de présenter le jazz, de plus en plus fréquente, provient de l'institutionnalisation de cette musique. pour enseigner une musique il faut que celle-ci soit un tant soit peu "figée", cadrée, de sorte que l'on puisse contrôler ce qui est enseigné.
Peut-on enseigner le jazz? Oui et non. Oui pour ce qui est du côté technique (apprentissage de l'instrument-même la façon peu orthodoxe d'aborder l'instrument de certains jazzmen fait partie de leur signature-formules rythmiques, harmonie etc.) mais là ne reside pas l'essentiel de cette musique. Ce qui fait cette musique si riche et vivante vient de l'originalité même de ceux qui la font. Or, on ne peut enseigner l'originalité dans aucune école. Je dirais même que l'institution à tendance à étouffer l'original, à produire des techniciens habiles mais ternes et, à la limite, interchangeables.
Perdre les racines de cette musique, sa raison d'être, son pourquoi, la fera peut-être devenir plus à même d'être enseigner (un bon exemple de ce que je raconte est illustré par le Lincoln Center où l'on définie et enseigne le jazz avec des limites très claires et qu'il est préférable de ne pas dépasser) et ainsi institutionnalisée, lui donnant pignon sur rue et respectabilité, vendable parce que bien définie et délimitée comme n'importe quel produit. Certains pourront en tirer bénéfice mais l'ensemble de l'humanité y perd en diversité.