On parle beaucoup de révolte ces temps-ci. Pour ma part, je ne crois pas que ces révoltes changeront l'essentiel de ce qu'il y aurait à changer, c'est-à-dire nous-mêmes. On se braque contre les institutions sociales comme le mariage, certaines traditions, l'autorité des aînés, les usages, coutumes ou habitudes. Tout cela n'est que le reflet de notre pensée, mais cette pensée en tant que telle n'est jamais remise en question. On s'occupe des branches alors que c'est la racine qui pose problème. Nous sommes prisonnier de nous-mêmes. Nous sommes notre propre cage. La vrai liberté, qui n'est pas de vivre sans loi, en suivant nos penchants et nos faiblesses qui peuvent être nocifs voire criminels, existera seulement si l'on remet en question et comprenons nos constructions mentales, la structure de notre "moi".
L'erreur principale est d'accepter au lieu de comprendre. Suivre est beaucoup plus facile que de remettre en question, adorer et croire empêche la véritable liberté. La révolte qui changera vraiment les choses n'est pas celle qui veut détruire mais celle qui cherchera à élucider de quoi nous sommes faits.
À la maison, on écoutait pas mal de chanteurs Français.
Brel est sans aucun doute celui qui a le plus influencé mon cheminement, en musique et dans presque tous les domaines. Peu de chanteurs ont parlé de l'amour comme lui. Peu de chanteurs se sont donné comme il s'est donné. Brel pour moi, c'était la passion, la fraternité. C'était le grand frère qui me regarde dans les yeux et me dit de suivre mon chemin, de tracer ma route quelles que soient les embûches, les jaloux, les étroits d'esprit, tous ces bigots qui rient de nous voir tomber et verdissent devant nos réussites. Brel m'a donné du souffle, une envie de dépasser ce qu'on me proposait comme sentier tout fait, une envie de dépasser mes peurs et mes doutes. Mille fois je suis tombé et mille fois me relevai. Mille fois je tomberai et mille fois je me relèverai, jusqu'à l'ultime chute. Brel c'est aussi l'aventurier, le pilote, le navigateur, le cinéaste, celui qui se cassait la gueule avec bonne foi! C'est aussi le solitaire, à la fin de sa vie, sur son île, loin du monde.
Brassens, l'anarchiste goguenard, bienveillant, effacé, d'un autre temps mais toujours actuel. Son vocabulaire moyenâgeux, truculent, précis et poétique me faisait basculer dans un âge qui sentait le crottin, l'herbe, la campagne, dans un monde où l'on détroussait les filles pour leur plus grande joie, avec santé et bonheur partagé! En écoutant Brassens je pouvais sentir l'odeur de bon tabac, la chaleur d'un coin de feu. Brassens me rassurait. C'est un grand-père jeune de coeur, l'anarchiste qui suivait la loi pour ne pas se faire emmerder...Un révolté qui ne voulait pas déranger.
Tout le contraire avec Ferré. L'angoisse qui suintait à travers ses chansons, le sexe violent et rédempteur, l'assouvissement de la bête, le crachat dans la gueule. Ferré m'aura fait pleurer. Brel aussi, mais pour d'autres raisons. Quelle voix et quelle intensité! Son chant était un appel à l'insurrection, à la révolte. On casse tout. Ferré casse tout. Il change de trottoir s'il aperçoit un couple. Ferré c'est le cuir, le bouffeur de curé. Ferré c'est aussi le désespoir, une carapace qui cache mal son immense tendresse, un verbo-moteur qui trafique dans les ordinateurs, qui farfouille et revient bredouille. Léo c'est aussi le musicien. Ces arrangements simples mais toujours efficaces, ses cordes larmoyantes, probablement celui qui aura le mieux compris le rapport entre la musique et les mots. C'est l'homme qui aura compris et magnifiquement mis en musique Verlaine, Rimbaud, Aragon et beaucoup d'autres. Poète maudit. Maudit poète!
Ferrat. Le révolté à la voix faite pour chanter l'amour. Chaude, enveloppante, douce, suave, grave. C'est le violoncelle qui se veut trompette. Le politicien musicien. C'est papa qui semonce doucement et qu'on écoute d'une oreille distraite. À mon goût, le moins convaincant des quatres. Pourtant je l'aimais bien car il me berçait, me calmait, me réconfortait. Ferrat, c'est la douillette, la bouillotte qui fait du bien. Avec des arrangements souvent trop chargés, trop sophistiqués comme un plat trop cuisiné, c'est le seul que je n'écoute plus aujourd'hui. Peut-être à tort.
Stravinsky, les Platters, Black Sabbath, Pierre Henry (musique concrète), Led Zeppelin, Iron Butterfly, Felix Leclerc, Yvon Deschamps (l'argent ou le bonheur), Myriam Makeba et j'en oublie! Toutes ces musiques ont fait partie de mon enfance et de mon adolescence. J'en suis gré à mes parents de m'avoir donné un échantillon si large de ce qui pouvait se faire dans le domaine musical.
(À suivre)