Le vert des montagnes s'harmonise magnifiquement avec le gris du ciel. La légère brume qui enveloppe le paysage nous donne un subtil rappel des nuages. En fait, c'est comme s'il n'y avait pas de nuages. Le ciel est uniformément gris comme un ciel peut être bleu. De grands oiseaux tracent des cercles dans les airs pendant de longues minutes profitant des quelques courants chauds et du vent. À peine s'ils esquissent quelques battements d'ailes. Comme ces oiseaux qui ornent les fils électriques qui longent la routes, par centaines, ils donnent l'impression de tenir un dernier conciliabule avant de quitter le Québec vers des contrés moins froides. Ainsi, chaque année, irrémédiablement, le cycle continue. Les saisons passent.
Elle faisait de grands efforts pour paraître. Toute son énergie passait en calculs, le moindre mot qui sortait de sa bouche était soupesé, analysé avant d'être émis. L'impact que pouvait avoir son discours ou ses gestes étaient savamment dosés pour donner une impression de politesse, de bonne éducation, de savoir vivre, d'adulte responsable et sympathique. Le masque de bonté qu'elle portait depuis toute petite était devenu une seconde peau, un second visage. Elle avait été éduquée dans ce sens. Ne rien laisser paraître. Cacher. Ne pas voir. Éviter, contourner, refuser, trouver des refuges confortables, sans danger pour l'image qu'elle s'était forgée au cours de toutes ces années. C'était devenu une seconde nature, je veux dire qu'elle était devenu une seconde personne. Celle du dehors et celle du dedans.
Heureusement pour elle, elle vivait dans une société qui fonctionnait de même. La société du dehors, avenante, tolérante, bon enfant, acceuillante cachait en elle des élans qui aurait fait frémir toutes personnes un peu observatrices et perspicaces. La jalousie, l'envie, les ambitions secrètes non dévoilées et coupables, le manque de courage de voir et dire, tout ça formait une espèce de magma souterrain, un sable mouvant qui engloutissait toute personne qui aurait voulu taper trop fort du pied. La charité qui masque une forme de pouvoir sur l'autre était perçu comme la marque des hautes âmes, des gens qui ont réussi et qui partagent, qui ont une (mauvaise?) conscience. Chacun avait ses pauvres comme on a un chien.
Les quelques personnes qui osaient parler franchement étaient taxées de "chialeuses" ou violentes. On les écoutait d'une oreille compatissante, un peu comme ce prêtre qui vous écoute lors de la confession, mais de haut.
-Quoi? Comment? Non...Vous exagérez...Vous êtes négatif, je ne veux pas vous cotoyer.
-Mais enfin...Regardons-nous! Nous sommes misérables! Médiocres et si sûrs de nous, de notre façon de vivre...Nous acceptons des choses normalement innaceptables! L'injustice pernicieuse qu'on nous explique avec des chiffres, calmement, cravaté, les horreurs qu'on regarde le soir aux nouvelles en sirotant une bière...
-Ah!...C'est vrai que chez les autres, c'est horrible...Comment font-ils pour vivre et supporter toutes ces misères...Moi, si j'étais eux...
-Mais vous êtes eux! Nous sommes eux! Comment osez-vous prétendre être heureux pendant qu'eux subissent toutes ces...Pourquoi sommes-nous devenus si insensibles? De quoi sommes-nous si fiers? Pourquoi ce contentement si mesquin et, au fond, criminel?
-Vraiment, vous êtes infréquentable...Devrais-je sacrifier mon confort pour venir en aide à des gens que je ne connais même pas?
-On pourrait peut-être commencer par les écouter...Je ne sais pas...On devrait peut-être commencer par se regarder...
Je me réveille avec un mauvais goût dans la bouche. Quel cauchemard...C'est fou ce que le cerveau peut nous faire dire en rêve lorsqu'on s'oublie...Allez! Un bon café et la journée commence!
Le vert des montagnes s'harmonise magnifiquement avec le gris du ciel. La légère brume qui enveloppe le paysage nous donne un subtil rappel...