Je me souviens et on m'a dit que depuis tout petit, la musique a été une source de fascination pour moi. Pour quelles raisons? je ne saurais le dire. J'entrais dans ce monde (celui de la musique), ou sortais de celui-ci (le monde "extérieur"), avec beaucoup de facilité. Était-ce une fuite? Je ne pense pas. À cet âge fuir n'a pas encore de sens, il n'y a pas "d'ailleurs" où aller (pas consciemment du moins). Je parle de 4 ou 5 ans.
On m'a rapporté (mes parents) que, s'apercevant de mon "absence" pendant l'écoute de musique, ils ont réussi à installer projecteurs, appareil photo avec trépieds et de prendre quelques clichés sans que cela ne vienne perturber mon écoute. Anecdote, mais révélatrice lorsque j'y repense aujourd'hui. Je revois ces photos aujourd'hui et me demande ce que ces yeux pouvaient voir à ce moment, ce que cet esprit percevait dans la musique.
Je repense aussi à cette période, vers 10-11 ans, où j'avais constamment avec moi une flûte à bec. J'en jouais dès que j'en avais l'opportunité et je possédais un petit cahier dans lequel j'écrivais mes premières compositions. Le style de celles-ci oscillait entre le classique et le "folklorique", genre petites ritournelles tonales. C'était avant de prendre des cours au conservatoire, avant le saxophone, avant le jazz.
Mon premier instrument, mis à part la flûte, fût le cor français (quelques semaines seulement), puis le trombone à coulisse. Je jouais dans la fanfare avec quelques amis et mon père avait un ami qui jouait et enseignait le trombone. Je pris quelques cours et dois dire que je n'aimais pas cet instrument, lourd, métalique et dont le son me semblait trop "gras". Par contre j'en prenais grand soin en lui faisant prendre un bain (oui, le trombone...) avec du bicarbonate de soude. Je le frottais avec soin et était fier de l'éclat que j'étais parvenu à lui redonner. C'était un vieux trombone, un peu bosselé, j'allais dire voûté.
Je me souviens de cette époque comme si j'étais autre. Mon sentiment, ma pensée, ma volonté à ce moment étaient complètement dépourvus de buts à atteindre. Je ne souhaitais pas un résultat ni n'avais d'espérance de devenir quoi que ce soit avec ou sans rapport avec la musique. Je faisais les choses pour elles-mêmes, pour le plaisir d'apprendre. Le processus était plus intéressant que le résultat. Bien sûr je voyais les progrès que je faisais et était content de partager mes timides avancées dans ce monde musical, mais les moments privilégiés, où je goûtais chaque instant étaient ceux où je me retrouvais seul, dans ma chambre, à explorer mon vieux trombone et ses sons si peu gracieux. J'avais l'impression d'être d'un autre temps, d'une autre époque. Mes amis et mes jeux semblaient si loin et sans "consistance", sans véritable dimension dans ces moments-là. Pourtant j'adorais les jeux et mes amis! Mais il me semble que la vie prenait toute son sens et une certaine gravité dans ces moments de solitude.
Le travail de musicien, comme celui de peintre, compositeur ou écrivain, se fait en grande partie seul. D'ailleur je crois que toute réflexion, qui accompagne tout être humain mais particulièrement tout artiste, doit et ne peux se faire que dans la solitude. Ce travail, de se connaître soi-même, est l'opposé du narcissisme et inhérent à toute vie humaine un temps soit peu sérieuse. Aucune austérité dans cette façon d'aborder les choses. Au contraire. Se connaître est le sentier le plus directe pour accéder au véritable bonheur. Nous sommes souvent étranger à nous-mêmes et c'est un pur délice mais également un travail ardu que de sonder les profondeurs de son esprit. Délice et continuelle découverte qui exigent cependant beaucoup d'énergie, un calme, un silence intérieur et une volonté de dépasser notre condition d'aveugle croyant voir.
Le doute, la remise en question, l'insatisfaction doivent être les compagnons de route d'une vie. La recherche prend sa source dans ces états qui refusent les évidences.
On apprend pas pour accumuler des connaissances mais pour comprendre soi, le monde. Donc les autres.
(À suivre)