Ce matin tout est gris. Une brume épaisse enveloppe l'ensemble des choses et ne laisse voir que les contours, flous, sans consistances, fades parce que mal définis. Plus ou peu de contrastes violents. Même les sons sont, comme en hiver, feutrés, doux, sans cette espèce de violence qui accompagne la clarté et la vision limpide des choses.
Entendre clairement et voir clairement fait mal. Les choses crues, perçues trop directement doivent s'accompagner d'une sagesse au risque de se perdre dans un désespoir inutile et démobilisateur. Cette brume semble bienfaisante parce qu'elle cache beaucoup de choses mais derrière, la réalité attend son heure pour se révéler.
Le soleil peine à se lever, se lève mais n'arrive pas à ouvrir les yeux pleinement. Sa lucidité est mise à rude épreuve et c'est un spectacle saisissant de voir la lutte qu'il mène avec l'opacité du monde matinal. En même temps qu'il gagne du terrain sur l'aveuglement "brumesque" il me montre des détails et m'ouvre ainsi des perspectives nouvelles.
Ça y est! Il parvient maintenant à mettre à jour l'église et son clocher. Dans sa sagesse, le soleil s'attaque d'abord à ce qui représente un faux espoir, une vision datant d'un autre temps, du temps où les gens avait besoin de croire parce que pas assez éduqués, naïfs et suivants n'importe quelle idéologie qui leur ferait oublier leur peur de la mort, leur peur et leur culpabilité d'être vivant autrement dit. Le voilà maintenant dardant ses rayons sur la mairie, deuxième plus haut édifice de mon village. Là aussi j'y vois une magnifique métaphore. Percer, mettre à jour les intentions profondes de nos institutions (et donc notre propre façon de s'organiser-de penser) serait instructif et évocateur.
Nous regarder en face et honnêtement, comme si nous étions étrangers à nous-mêmes, d'un autre temps et d'un autre lieu. Chercher, fouiller, découvrir comme les archéologues le font pour d'autres civilisations. Avoir cette distance qui permet la vision large et complète des phénomènes auxquels nous sommes soumis. Notre société est le reflet de notre pensée et notre pensée est le reflet de notre société, c'est vous dire tout le boulot qu'il nous reste à faire...Penser qu'on peut changer vraiment, réellement nos institutions sans changer d'abord soi-même, nous-mêmes, est une illusion que l'Histoire nous démontre à longueur de siècles!
La plupart des spécialistes qui se penchent sur les détails de nos organisations, institutions (politiques, culturelles, religieuses) ne regardent pas dans la bonne direction. Ce regard doit d'abord se diriger sur nous-même, nous faire comprendre de quoi nous sommes fait, nos aspirations et la raison de ces aspirations, nos rêves et ambitions, notre personnalité, notre caractère etc. Il nous faut dissiper cette brume intérieure qui rend la vision de toute chose floue.
Sans cette connaissance de nous-mêmes tout le reste n'a aucune valeur et est perte de temps.
Le soleil, après s'être attaqué aux principales institutions (état, religion-je n'inclus pas les médias, sûrement à tort) jette un éclairage sans complaisance sur tous les petits commerces qui gravitent autour. La banque, le bureau qui abrite la télévision et la radio tout à la fois, sorte de convergence qui semble anodine mais qui empêche d'avoir une prise réelle sur notre monde par la compréhension des évènements la structurant-car possédés par une seule personne, une seule vision donc, probablement commerçante.
Ce monde, on nous le vend en petits paquets bien enveloppés, séparés, insignifiants comme des gâteaux Vachon, ne se touchant jamais afin que nous ayons une vision partielle des évènements. Nous sommes alors incapables de comprendre réellement ce qui nous arrive, de porter un jugement clair et avisé sur le présent et ainsi d'agir de façon intelligente sur notre environnement. Nous devenons alors des "consommateurs", pratiquant la charité au lieu de la justice, votant tous les quatres ans pensant que nous avons prise sur la politique, écoutant les informations croyant connaître le monde-être avisés, victimes de propagande, rêvant de paix mais simplement le jouet des faiseurs de guerre et des vendeurs de tout acabit.
La brume s'est complètement levée, dissoutes par les rayons révélateurs du soleil. Toute la journée il mettra en relief, montrera ce qu'il y a à voir, nous fera peut-être ouvrir les yeux sur des évidences que la nuit, la brume et ses vendeurs tentent de nous cacher.
Nous sommes notre propre soleil.
À nous de savoir où et quand frapper.