J'ouvre les yeux et c'est un magnifique levé de soleil qui s'offre à mon regard. Des rouges, des oranges, des bleus, des verts. Une fantastique palette de couleurs se déploie dans le ciel évoluant à chaque seconde. Le temps est suspendu, mon regard ne peut se détacher de ce miracle quotidien, ma pensée est inutile, je me laisse porter.
Nous portons en nous la capacité de nous oublier afin de permettre à l'ineffable de se produire. Cet aspect de la vie n'a rien de mystérieux. Chacun de nous, si nous sommes le moindrement sérieux avec le fait de vivre, d'être vraiment animé par une curiosité non pas morbide ou strictement intellectuelle mais qui va au-delà de nous-mêmes, de notre "moi" et de sa mémoire, peut laisser cette intelligence se déployer.
Ces instants sont d'une grande simplicité et dotés d'une richesse que les mots ne peuvent cerner. La musique, la poésie, la peinture ont cette capacité de nous faire oublier...nous-mêmes. Mais ce ne sont que des prétextes. Je veux dire que tout se passe dans l'attitude que nous avons face à ces manifestations humaines, à ces propositions inscrites dans le temps. Elles sont un point de départ et non un point d'arriver.
L'art est un outil pour sortir de nous-mêmes. Que nous le pratiquions ou que nous soyons les spectateurs son "efficacité" (oh! le vilain mot!) revient à notre capacité à faire taire ou effacer l'illusion que nous sommes le centre de quelque chose. C'est ici que l'art prend tout son sens.
Tout est dans les yeux de celui qui regarde ou écoute. L'art est une perche tendue, c'est l'amicale tape sur l'épaule qui propose un chemin, il n'est pas le chemin. L'art n'est pas une performance mais une tentative de proposer un autre monde où l'individu, ses capacités ou talents, sont d'ordre secondaires.
Les gestes, les notes, les coups de pinceaux, les phrases ne comptent plus pour eux-mêmes mais débordent le cadre proposé et nous font entrevoir "autre chose". La force de l'art, de ce point de vue, réside dans sa faiblesse ou plutôt à la capacité de l'artiste de se faire oublier pour laisser place à l'ineffable.
Tout le reste qu'on appelle encore l'art dans notre société n'est que démonstration de ce moi détestable qui voudrait faire croire que c'est lui qui est intéressant. Ce moi toujours prétentieux et envahissant nous donne toutes ces séries de petites ou grandes vedettes (tout dépendant de leur compte en banque ou leur degré de popularité) qui nous éloignent du merveilleux et nous rapproche de notre centre en le confortant dans son illusion d'importance.
L'art est toujours simple. Là est sa difficulté.