Écrire n'est pas facile. Je veux dire quand on veut vraiment écrire. Ce que l'on sent, ce que l'on pense sans travestir quoi que ce soit, en étant transparent ou pur comme le cristal. Montaigne, Rousseau et beaucoup d'autres ont tenté l'expérience. Ont-ils réussi? de toute façon nous ne serons jamais dans leur tête. Écrire en étant parfaitement honnête? Avec nos erreurs de jugement? Nos pensées parfois peu amènes? Écriture source d'injustices car celle-ci ne sera toujours que subjective?
La vision de celui qui écrit, à moins que celui-ci ne soit parfait, que sa pensée, ses gestes, ses intentions, ses valeurs soient pures à un degré telles qu'on pourrait les qualifier d'irréprochables à tous points de vue, cette vision ne sera toujours que partielle et partiale. Parce que toute vision découle de la pensée et la que pensée est limitée.
Combien d'écrivain se sont réfugiés dans la fiction (roman, poésie, conte etc.) par lâcheté? Parce qu'écrire son imperfection, y faire face demande beaucoup plus de courage qu'on pourrait imaginer. Se mettre nu devant le lecteur exige une conscience aiguë de soi-même et en même temps le désir de tuer ce soi-même, de le rendre vulnérable au plus haut degré.
À ce moment, écrire est un acte d'amour suicidaire en quelque sorte. Une confiance absolue dans le regard de l'autre. Parler de soi c'est aussi parler des autres car notre pensée, sa structure et sa qualité ne nous sont pas propre. La pensée est commune à tout le genre humain et il y a de grandes chances que la majorité des gens se retrouvent dans cette pensée. Et que ces mêmes gens refuseront simplement de voir, de se voir à travers cette écriture. Par lâcheté. Par peur que l'autre ne les découvre dans toute leur faiblesse, leur mesquinerie, leur manque de générosité.
N'est-ce pas une grande chose que d'avouer ses faiblesses? Ne faut-il pas une grande force? N'est-ce pas là une ultime façon de dire "je t'aime" au reste du monde? N'est-ce pas aussi une façon de vouloir être aimer pour ce que nous sommes? Sans tricher? Mais qui ne triche pas en amour? Et dans la vie de tous les jours?
Tous ces jeux auxquels nous nous prêtons, nos mensonges (petits et grands), nos causes qui nous paraissent toujours si juste et derrière lesquelles nous nous cachons. Ces causes si pratiques pour éviter que notre regard ne se pose sur nous-mêmes. Parce qu'à la vérité, nous sommes responsable de ces guerres, ces inimitiés, ces luttes "sans fin qui n'en finissent pas".
La structure même de notre pensée est source de tous ces conflits. Alors nous trouvons toutes sortes de stratagèmes pour nous fuir, la pensée trouve toutes sortes de stratagèmes pour se fuir, éviter à tous prix de se remettre en question. Et cette remise en question passe obligatoirement par le silence. L'opposé du savoir, de la connaissance livresque.
Une remise en question sérieuse passe par l'abandon de cette construction si confortable que nous nous sommes donnés. Abandon temporaire, nous avons bien entendu besoin de ce savoir pour fonctionner en société, mais crucial.
Pour moi, voilà le véritable courage. Aller contre. Contre cette culture du bruit. Contre cette course à la connaissance qui cache une grande misère, une grande pauvreté d'esprit et une peur maladive du silence et de l'instant présent.
Car le silence se cache dans le présent. Écrire devient alors quelque chose de sacré comme tout ce qui vient du silence. L'écriture est ce parfum que la fleur offre au saint comme au brigand.