Quand on parle de culture, nous viennent à l'esprit presque immédiatement les Arts (la musique, la peinture, la littérature etc.) ou les sciences et nos connaissances relatives à ces réalisations humaines. Il y a certes une grande jouissance à naviguer, lire, regarder, écouter, sentir, être ému ou touché par des oeuvres qui jalonnent l'Histoire humaine. Cette jouissance est et reste suffisante pour la plupart des gens, certains allant jusqu'à affirmer qu'elle justifie à elle seule le fait d'être ou de vouloir être cultivé.
Évacuer les motivations sous-jacentes à ce désir de savoir pour savoir, apprendre pour apprendre ne fait pas disparaître ces motivations comme par magie.
Le fait d'être cultivé (je parle ici de cette culture qui sert de poli, de "finish" qui donne un ascendant évident à ceux qui en sont pourvus sur ceux qui en sont dépourvus, justifiant une hiérarchie et un élitisme qui fait dire à cette élite depuis des centaines années que le peuple-ignorant- ne peut se diriger lui-même et qu'il lui faut des maîtres pour le mener) n'empêche en rien les abus de toutes sortes.
Prenons un exemple assez révélateur de ce qui vient d'être avancé.
Il est d'abord assez fascinant et surprenant de constater que les premiers ministères de la culture ont été établis par des états totalitaires. Mussolini, Hitler et Staline ont été les premiers a institué de tels ministères sachant pertinament que le contrôle de la culture, décider de ce qui relevait de la culture ou non, ce qui fait sens dans une société, favorisait la mainmise des esprits facilitant l'exercice du pouvoir par des voies en apparence anodines.
Après la seconde guerre mondiale, plusieurs gouvernements se sont rendu compte que le fascisme avait été soutenu par des gens cultivés qui ne voyaient pas de contradictions entre le fait d'être instruits et de préférer le fascisme à la démocratie. On pouvait être cultivé et nazi!
La culture comme somme des connaissances sur divers sujets, les Arts ou les sciences, (comme on a tendance à se la représenter) et sa délectation ne suffisent pas à empêcher les orientations, parfois meurtrières et racistes, de se développer dans des têtes en apparences bien faites. Simple constat historique. Implacable.
Certains pays, la France par exemple, ont décidé après le seconde guerre mondiale et devant le constat de l'innopérance de la culture face aux développement d'idées fascisantes et à ses déplorables résultats de bâtir un ministère de la culture qui incluerait l'éducation politique en plus de la promotion et le soutien de la culture "artistique". Rapidement, l'éducation politique a été abandonné au profit exclusif de l'artistique. Pas tellement surprenant et compréhensible.
Pourrait-on imaginer des cours, objectifs (dans la mesure du possible...), sur la compréhension véritable des enjeux du pouvoir, des politiques intérieures et étrangères, de la fonction de la finance et des grandes banques, bref sur toute la machinerie et la structure de nos sociétés? Cours donnés par des gens qui n'auraient aucun intérêt à présenter les choses sous un jour qui favoriserait tel ou tel pouvoir ou parti politique. Un peu comme comprendre comment fonctionne une voiture. Quel serait le résultat?
Ainsi la culture est devenue le symbole de la puissance d'un pays à travers tout ce qu'il produit d'élite et sa réduction à la question artistique et scientifique une catastrophe intellectuelle majeure.
Le jugement politique est un jugement de valeur. Si je dis que l'égalité des sexes, dans une société "x", est mieux que la suprématie masculine, j'exerce un jugement politique. Un jugement culturel me ferais dire que l'égalité de la femme et de l'homme est l'expression d'une culture et je ne vois pas en quoi cette expression culturelle serait inférieure ou supérieure à une autre qui déclare l'homme supérieur à la femme. Vous voyez la différence? Elle est de taille!
Dépolitiser le "culturel" est une façon très conservatrice de présenter les choses et finalement très...politique!
Au cours du siècle dernier on a pu constater que la culture n'a pas suffit à stopper ou même ralentir les desseins sombres de nombreux dirigeants. On peut penser aux deux guerres mondiales mais aussi à beaucoup d'autres conflits tout aussi brutaux et meurtriers, souvent, pour ne pas dire toujours, accomplis et/ou soutenus par des gens dits cultivés.
Ce triste constat n'enlève évidemment rien à cette culture "tronquer", mais doit nous faire réfléchir sur la portée de cette culture et sur ce qui seraient les moteurs principaux de cette volonté de se cultiver, à savoir le désir et la jouissance de cette culture.