Dans un autre petit texte, j'ai rapidement esquissé quelques réflexions au sujet de la culture, sur l'importance que peut avoir le fait de connaître tel auteur et sa pensée, musicien, philosophe, mathématicien etc. et l'impact réel que ces connaissances peuvent avoir sur nous. Ces quelques observations qui sont non pas des idées reprisent d'auteurs (quoique j'ai été mis sur la voie par différents penseurs et philosophes), des répétitions de ce que d'autres personnes pensent, (qui ferait de moi un perroquet savant, certes, mais tout de même un perroquet) sont le fruit donc d'observations et de réflexions personnelles. Préambule maladroit pour dire qu'une idée qui n'est pas mis en pratique, expérimentée, vécue, reste de la théorie et du bavardage quelque peu stérile.
La pensée n'est que mémoire. Il se trouve que peu de gens voient cette affirmation comme un fait qu'il est pourtant assez facile d'observer pour qui se donne la peine. Observation pure (sans jugement, conclusion, opinion etc.) de notre pensée sans se servir de notre savoir livresque qui, à ce moment, nous empêche de nous voir dans l'instant. Observer sans passer par autrui, sans utiliser de savoir de seconde main. Cette affirmation anodine en apparence renferme en elle toute une révolution. Notre société moderne place cette mémoire comme la chose la plus importante, en fait presque une idole, ce par quoi tout vient et survient, le nec-plus-ultra de toute personne sensée ou supposée l'être. Je conteste cette approche. Permettez...
Il est assez surprenant de voir les résultats d'une philosophie où la pensée reste la reine des possibles pour observer nous et notre monde. Voir uniquement à partir du passé? La plupart des gens qui n'ont pas vraiment saisis le rôle de la pensée, sa structure, voient le moment présent comme vide, limite insaisissable entre le passé et le futur, un mur ou une frontière, un passage entre ce passé et ce futur qui n'a pas d'épaisseur ni de saveur, sans contenu propre, l'important se trouvant ou dans le passé ou dans le futur. Dans les idées.
Il me semble également plausible de voir ce présent non seulement comme l'ensemble, le résultat du passé, l'aboutissement de celui-ci mais aussi de voir le présent comme un futur possible par la qualité même de ce présent, un présent profond porteur de futur. Le présent porte en lui le futur, il en a le goût et le parfum.
La culture, comme on nous la présente aujourd'hui, ne serait qu'accumulation de savoirs sur ce que d'autres pensent et sentent, leur vision du monde rendu lisible, visible par leur sensibilité propre. Oui, par certains côtés, il peut être intéressant et utile de voir et de connaître ce que les autres pensent, font, voient, leurs conclusions, aboutissements, processus etc. Je ne parle pas ici des connaissances de bases qui sont le savoir écrire, parler, compter! Évidemment!
La culture rend sensible? Je me pose la question. Comment rendre sensible? Par une accumulation de savoirs livresques? Par une accumulation de savoirs scientifiques, biologiques, philosophiques, mathématiques, musicaux etc? Je ne vois pas cela. J'observe autour de moi, je regarde plus loin, dans d'autres régions, pays, continents et je ne vois pas où on peut observer un tel résultat! Il ne s'agit pas de faire des voeux pieux, il s'agit d'observer et voir et peut-être arriver à certaines conclusions (là, il faut faire attention parce que le vivant bouge sans cesse) ou à tout le moins tirer des enseignements de cette observation.
Dans le passé également, je regarde l'Histoire de l'Homme et je vois une technologie qui a fait de grand pas, des réalisations dans les arts (au sens large) mais je ne vois pas de grands changements au niveau de notre psychologie. J'en suis désolé. Et il me semble que les problèmes auxquels nous somme confrontés, qui sont cruciaux et urgents, seront résolus par un changement de ce psychisme et non pas par une culture générale qui, après tout, ne nous change pas en profondeur.
La culture, pour donner un exemple proche de nous, sert à quoi quand un ancien premier ministre (qui a fait "ses Humanités", qui a de la culture, qui possède des connaissances) peut certes participer au conseil d'administration de l'orchestre symphonique de Montréal et aider à construire une salle pour cet orchestre mais dans un même souffle être le porte-parole des compagnies qui veulent extraire du gaz de schiste de façon "sauvage"? À quoi peut bien servir cette culture si elle ne rend pas, c'est un fait observable et vérifiable, meilleure?
Une culture générale qui ne nous sort pas de cette psychologie brutale, égoïste, individualiste à outrance, calculatrice et sectaire, qui ne voit pas les enjeux ou qui n'aide pas à voir ces enjeux cruciaux auxquels nous faisons face est caduque et bien insignifiante par rapport à nos besoins. La véritable ignorance est celle qui provient de la méconnaissance de nous-mêmes. La culture générale n'aide en rien ou trop peu (vraiment trop peu) cette ignorance et aurait tendance dans certains cas, comme on vient de le voir, de donner cette espèce d'assurance à ceux qui en sont pourvu, qui n'est que le résultat d'un savoir tronqué, partiel.
Avoir des connaissances sur la physique quantique et les mathématiques n'a jamais empêché ces scientifiques de fabriquer la bombe atomique! La culture générale d'un Obama ne l'a pas empêché de donner son aval à la construction de près de 200 nouvelles bases militaires dans le monde depuis son élection! De le faire réfléchir sur cet impérialisme brutal et criminel qui donne les résultats que tout le monde peut voir! On est en droit de (et on doit) se poser des questions sur cette fameuse culture générale et son impact réel sur notre psychisme! Non? Ou alors on se cache la face et la réalité derrière ce mur et continuons à aller au concert, écrire des livres sur les bienfaits de cette culture... qui n'en est pas complètement exempte, j'insiste.
Quelque chose en amont de cette culture générale doit être à l'oeuvre pour rendre cette culture efficiente, véritablement utile et porteuse autrement que simplement nous rendre encore une fois spectateur béat, isolé, passif devant le "faire" des autres citoyens et humains qui nous ont précédés.
C'est pourquoi je fais une différence (et elle est de taille!) entre "avoir" de la culture qui n'est qu'accumulation de connaissances et "être" cultivé qui donne des êtres véritablement sensibles, donc responsables. Sensible à l'ensemble des phénomènes existants dans nos vie et non pas sur une seule facette de celle-ci.
On peut donc être cultivé sans traîner avec nous tout le fardeau du passé. Encore une fois, pour moi, être cultivé est le résultat d'une vie sensible et créatrice. La création n'étant pas ici les élucubrations de cerveaux plus ou moins malades mais un souffle qui vient de la qualité de présence à ce qui nous entoure.
La question est de savoir comment rendre sensible.
(à suivre)