Aimer. Ce mot qu'on utilise souvent sans trop savoir ce qu'il contient et implique. Un mot galvaudé, aplati tellement nous nous sommes couché dessus. Comme beaucoup d'autres, un mot qui a perdu de son sens et de sa profondeur, un mot qui a perdu de sa saveur, qu'on utilise à tort et à travers sans avoir réfléchi sur ce qu'il contient.
Je suis toujours surpris de la méprise qui entoure ce mot, de voir l'insondable hypocrisie qui l'entoure et l'enferme. Toujours désolé de voir ceux qui l'utilise à toutes les sauces se faire une bonne conscience sur son dos. Comme si en utilisant le mot "amour" ou "je t'aime" nous auréolait d'une sainte énergie, nous plaçait automatiquement du côté des bons et des gentils.
Pourquoi je vous entretien de ce sujet aujourd'hui? Parce que j'ai mal. J'ai mal peut-être parce que quand on aime, on se soucie de l'autre. Je m'inquiète. "J'ai mal à nous". D'autres diraient j'ai mal à mon Québec mais non. C'est plus large que cela.
Qu'est-ce qui me permet de dire que j'aime? Je suis comme tout le monde. J'ai mes sursauts d'égoïsme, d'envie, mes faiblesses qu'on pourra qualifier d'humaines. Je ne me fais pas d'illusions sur moi-même. J'ai encore beaucoup de chemin et de réflexion à faire, beaucoup d'observation surtout.
J'ai quand même mal car il faut avouer que nous sommes assez médiocres dans l'ensemble. Parce que j'aime, j'ai le devoir de dire, même si cela m'est difficile et douloureux.
J'ai mal quand je vois le peu de courage qui nous habite. Je ne suis pas le seul. Loin de là. Justement.
Je vois bien, avec les manifestations des derniers jours (mois!) et les nombreux textes que nous pouvons lire dans les médias sociaux et ailleurs que beaucoup de gens ont mal. Et aiment.
J'ai évidemment mal quand je vois cet amour, cette passion, ce désir de changement, cette lucidité se faire écraser, tabasser, gazer. J'ai mal aussi quand je vois la population, le peuple rester, dans son ensemble, indifférent devant ces actes odieux. Mater de cette façon cet esprit si vivant, plein d'espoir, frais, c'est marcher sans vergogne sur une fleur qui voudrait éclore et s'épanouir. C'est par centaines de milliers que nous devrions être dans la rue. Mais non...
J'ai mal quand on se refuse un avenir un peu plus juste. Quand des gens se promène en Winibago ou se dorent en Floride pendant que la jeunesse peine à joindre les deux bouts. J'ai mal de nous voir devenus si insensibles, individualistes à outrance, j'ai mal de voir que, encore aujourd'hui, on se méfie des gens instruits. De la culture. La beauté? Si on peut la vendre, ok. Les idées? Si on peut les breveter, ok.
J'ai mal aussi de voir que nous respectons surtout la force et l'argent, dans une large mesure.
Je ne peux me résoudre à être complaisant et dire que nous sommes un grand peuple. Non. Aujourd'hui, nous sommes médiocres collectivement. Trop facile de se répandre dans une espèce de gloire qui nous habiterait et de nous caresser dans le sens du poil, faire notre apologie. Aimer fait mal.
Témoin de la violence outrancière mais surtout du "je m'en foutisme" devant celle-ci j'ai un profond sentiment de révolte et de tristesse.
Parce que j'aime, je dois dire que nous sommes corrompus, "à côté de nos pompes", que nos valeurs, globalement, sont des valeurs de gens qui ont peur, nous nous flétrissons avant que d'être vieux. Le courage commence et passe par l'observation de notre manque de courage.
Il y a et il y aura toujours des gens pour détester ce qui est vivant et plein d'espoir.
Il y a et il y aura toujours des gens pour vivre debout. Vivant.
Les morts détestent la vie. Et ça fait mal.
Je dédie ce petit texte aux étudiants et à mes deux filles, Janne et Romie, 10 ans.