Ce n'est pas la richesse qui manque dans le monde, c'est le partage.
Proverbe chinois
De retour de ma tournée en Chine. Comme à l'habitude mes deux chats m'ont laissé savoir leur mécontentement face à mon absence de presque trois semaines en laissant des marques odorantes et non moins visuelles à quelques endroits bien choisis. Non plus ils ne cachent leur joie en me suivant partout, observant mes moindres mouvements, me collant aux basques jusqu'à rendre certaines activités presque impossible, un peu à la manière de l'épisode du sparadrap et du capitaine haddock dans L'affaire Tournesol. Je n'ai pas besoin de spécialistes pour me faire comprendre que mes chats sont animés de sentiments.
Après un solide ménage de la maison, le lavage et rangement de mes affaires de tournée, la lecture du courrier accumulé, la mise au jour de tout ce qui fait le quotidien (course, paiement de facture etc.) c'est le retour à la "normale". C'est à ce moment que je peux mettre à plat mes sentiments ou si vous préférez prendre un peu de hauteur face à ce que je ressens concernant ce retour. Je fais le point.
Ma première impression est celle d'un malaise. La société dans laquelle je vis me semble perturbée, intranquille pour reprendre un mot de Pesoa. Et cette intranquillité n'est pas source de changement. Elle me semble plus tenir de la névrose que d'une colère saine qui apporte des modifications, qui fait avancer...vous savez, cette colère généreuse qui rend créatif et actif. Non, je sens un embourbement, une lutte sans fin avec de vieux démons qui reviennent sans cesse hanter la psyché collective. Je la sens étrangement vieille cette psyché, fatiguée, incapable de se (re)dresser, préoccupée, angoissée. Je sens comme un sentiment constant de revanche. Une inassouvissable demande de droits justifiée par des frustrations longtemps réprimées? C'est un projet de société, ça? Cette culture de l'individualisme, que je trouve pour ma part insupportable et pour tout dire suicidaire, fait qu'il est normal de recevoir mais bien difficile de donner ou rendre - ce qui parait être le b.a.-ba de toute relation humaine-. Ce qui fait que lorsque nous nous retrouvons dans une culture qui pratique cet échange basique comme en Chine, nous nous apercevons (pour ceux qui peuvent prendre un peu de hauteur vis-à-vis d'eux-mêmes) que nous sommes des handicapés sociaux, des produits d'une culture où, la plupart du temps, l'égoïsme sert de base à nos relations.
Ce sentiment de malaise est d'autant plus fort que je reviens d'un pays - La Chine - où on s'attendrait, selon le peu qu'on en sait, à trouver cette morosité, cette insatisfaction, cette colère sourde, cette noirceur des sentiments. Mais il n'en est rien! À chaque fois je retrouve cette joie de vivre, cette tranquillité, ce désir de prendre soin de l'autre, de voir à son bien être. En même temps que cette affabilité et cette douceur je peux sentir à chaque séjour que je fais des changements inouïs par leur qualité et leur rapidité. Ce qui ressort de la Chine c'est de l'optimisme et cette propension à mieux vivre, à développer le pays pour le bien général. Comme le disait un de mes amis chinois: "nous sommes une grande famille". Et il m'incluait dans cette famille.
La Chine fait face, comme tous les pays, à des problèmes plus ou moins graves. N'empêche que je la sens prête et suffisamment forte pour affronter ces problèmes, suffisamment en bonne santé morale pour affronter les défis qui se présentent à elle.
Je ne suis pas absolument certain que je puisse en dire autant pour nous.
Mes chats ronronnent auprès du feu. Ils sont calmes et paisibles. Pour eux, c'est le retour à la normale. Pour moi aussi c'est le retour. Un dur retour.