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6 mai 2015 3 06 /05 /mai /2015 17:33

Je me nomme Pierre-Alexandre David Simard Côté Lévesque Godin. Mes amis (les filles aussi) m'appellent PA (prononcez à l'anglaise PI-É). C'est plus court. Mes parents et grands-parents ont toujours été pour l'égalité. C'est lourd mais ce n'est que justice. L'égalité est parfois ridicule vous me direz! Chacun ses opinions.

On était en septembre mais il faisait novembre. La rue que nous empruntâmes était étroite, le vent soufflait dru. Il avait plu et la lumière glauque des lampadaires se reflétait dans les flaques d'eau parsemées sur notre parcours. Le soleil était couché depuis un moment déjà. On sentait dans l'atmosphère quelque chose de nostalgique, un été trop vite passé?

Une vie à peine vécus...Je pensais à mes vieux, surpris que leur existence s'achevait déjà, maudissant doucement le temps que grignote lentement un espoir tardif, prenant conscience tout-à-coup que la mort est entré de plain-pied dans leur vie.

C'est cette maudite rue qui me mettait dans cet état. Plus lugubre que nostalgique finalement! Le vent, la pluie, les arbres menaçants (pourquoi menaçants?), la lumière blafarde...Jean!

Il marchait en silence à mes côtés, légèrement en retrait, les mains dans les poches de son blouson miteux.

-Pourquoi, au lieu de prendre les rues plus achalandées, tu tiens à passer par ce chemin? En plus d'être plus long, de faire des détours inutiles, on a l'impression de marcher dans un cimetière! C'est triste ici!

-Peut-être parce que c'est plus vrai. Tu préfèrerais marcher sur une plus grande artère avec des boutiques, des bagnoles, des gens qui somnanbulent d'un magasin à l'autre?

-Au moins il y a de la vie!

-Rien de moins sûr mon ami! Les morts, les fantômes, les ombres, les inexistants, tu les trouves en pleine lumière, attablés dans un macdo ou au volant de leur BMW espérant rattraper le temps qu'ils n'ont plus à marcher dans une rue comme celle-ci. Les ectoplasmes ne se cachent plus et se croient vivants!

-J'aurais du me la fermer...

Nous poursuivâmes notre chemin, silencieux.

Jean, selon toutes les apparences, n'aimait pas le monde dans lequel il vivait. Il prétendait (j'avais un sérieux doute!) ne pas comprendre les gens qui arrivaient à bien s'adapter dans une société malade. Était-ce un signe de santé ou une forme de psychose?

Moi je me sens plutôt bien...(tiens! Une phrase "moije" comme Jean les appelle) J'ai des amis (des filles aussi), des parents affectueux que j'aime, une vie assez bien remplie: mes vieux, mes études, mes sorties. Il ne semble pas que je sois atteint de délire, de psychose ou je ne sais quoi!

Avait-il deviné mes pensées...?

-Toi qui étudies en communication, peux-tu me dire, en général, de quoi tu parles?

-Quand, avec qui?

-N'importe, avec tes amis, tes parents, tes profs.

-Je ne sais pas...De tout et de rien...Question bien large!

-De tout et de rien, qu'est-ce que tu veux dire?

-On parle boulot, politique, des nouvelles qu'on a lu ou vu, des autres...Je sais pas moi...du sport...

-De la mort, de l'amour, de l'intelligence, de la pensée, du silence, vous n'en parlez jamais?

-Non...pas de ça...C'est des sujets...

-...Trop importants pour qu'on en parle? C'est ça?

-Non...Ça nous vient pas à l'esprit! c'est tout! Et toute façon...

-Quoi de toute façon?

-C'est des sujets pas marrants ça...

-Pas marrants, pas marrants...Ton sujet de maîtrise il est marrant lui? Ce sont de vrais sujets!

-En philo, oui, on a parlé de la mort et du reste...

-Vous en parliez vraiment ou vous vous penchiez seulement sur ce que d'autres en pensaient?

-Non...Oui...On étudiait surtout la pensée des philosophes. C'est très intéressant tu sais!

-Je n'en doute pas un seul instant! Vous n'en parliez pas si je comprends bien!

-Si, quand même un peu...

-Mais pas trop...

-En effet...Pour être honnête, je n'ai aucune idée de ce que mon prof pensait!

-Il ne faisait que "passer la matière", c'est ça?

-Oui, il nous avait averti au début du cours qu'il ne prendrait pas position, que ce n'était pas son rôle.

-Étrange comme posture...Tu ne trouves pas?

-Je ne vois pas en quoi. Il était là pour nous enseigner, pas pour...

-...Apprendre?

-Que veux-tu dire?

-Sa position est celle d'un ordinateur, il restitue ce qu'il a emmagasiné dans sa mémoire. Il peut le faire de manière vivante, intéressante mais cela revient à ça!

-J'ai beaucoup appris...

-...sur ce que les philosophes ou penseurs pensaient de leur vivant! Encore une fois, je confirme, cela est hautement intéressant! Mais ne penses-tu pas que communiquer, si on se réfère à son sens premier, qui est de mettre en commun, a perdu de son sens? Si ton prof s'exclut en quelque sorte de la communication, y a-t-il communication ou seulement de l'information qui passe de "A" vers "B"?

-Je n'avais pas vu cela sous cet angle!

-Toi, par exemple, qu'est-ce que le mot "silence" t'inspire? Il évoque quoi pour toi?

-...Le silence...Bien j'ai lu...

-Non! Pas selon machin ou machine! Toi! C'est à toi que je parle maintenant! Pas à machin ou machine!

-Écoute...Je sais pas...Au fond, je doit t'avouer que je n'y ai pas vraiment réfléchi!

-Mais tu pourrais me dire ce qu'en pense "X" ou "Y"!

-En gros c'est ça...Mes connaissances sont...

-...Mécaniques? De secondes mains?

-Oui, peut-être. Je ne l'aurais pas dit comme ça.

-Mais c'est un peu beaucoup ça...Non?

-Oui, si tu veux...

-Pour parler du silence, il faut l'avoir rencontré, vécu, senti. Sinon, ça ne vaut pas un pet!

-Et la mort? Il faut l'avoir vécu pour avoir une opinion, un avis sur elle?

-Il ne s'agit pas d'avoir un avis ou une opinion, mais d'aller voir! Connaitre n'est pas savoir!

Vaut mieux, quand tu as faim, un mauvais repas qu'un bon livre de cuisine!

Jean avait le don de, un: finir mes phrases à ma place et deux: finir une conversation.

-Marchons! dis-je

-Mais dis donc! Tu deviens sage mon PA!

Je ne relevai pas son sarcasme et me dis en moi-même, avec un soupçon de revanche à la clé, qu'il faudrait bien qu'il m'explique comment on pouvait vivre la mort...de son vivant! Monsieur je-sais-tout n'avait qu'à bien se tenir!

Une fine pluie tombait maintenant. On pouvait voir de gros nuages bas éclairés par les lumières de la ville filer à toute vitesse vers le sud. Couleur de souffre, jaunâtres, ils paraissaient sales à force de se frotter aux cités qu'ils survolaient. On aurait dit des moutons voulant fuir au plus vite ces éclairages qui les montraient sous un mauvais jour.

Le vent redoublait d'ardeur. Nous nous engageâmes dans une ruelle à peine éclairée par les ampoules extérieures que les habitants laissaient brûler par sécurité. On entendait le souffle du vent dans les feuilles, le bruissement caractéristique des quelques arbres ponctuant notre route.

Une porte claquait sur notre gauche, des gobelets de café roulaient dans tous les sens, des sacs de plastique virevoltaient. Les fils électriques s'étaient mis à siffler sous la vélocité accru du vent. Des clochettes, de celles que l'on suspend et qui tintinnabulent au moindre souffle faisant entendre de douce mélodies, semblaient maintenant prises de folie et s'entrechoquaient dans une lutte à finir.

En dépit de tout, on pouvait dire que c'était silencieux.

Une idée, fulgurante, s'impose à moi:

-En fait, il me semble que le silence, le nôtre, soit toujours présent et qu'il suffit d'arrêter de lutter contre le bruit pour l'entendre.

Jean s'arrêta net. Il répéta mes mots.

-Arrêter de lutter, entendre notre silence toujours présent.

Son large sourire illumina la ruelle.

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Published by Yannick Rieu - dans Culture

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